Rachid, 20 ans, est garçon-boucher. Un métier que, deux ans plus tard, il pratique pour tuer son employeur, 41 ans, qui l'a accusé de vol et a refusé de lui donner son argent. Fès. La salle d'audience de la chambre criminelle près la Cour d'appel est archicomble. Le président de la Cour vient de lever la séance. Ses quatre assesseurs l'ont suivi quand il s'est levé pour regagner la salle des délibérations. L'assistance attend impatiemment que l'agent de la salle d'audience rentre pour annoncer le retour de la Cour. Les minutes d'attente sont interminables. «La Cour s'est attardée dans ses délibérations», dit un jeune à son ami qui occupe un siège voisin. Ce dernier ne lui répond pas, le policier qui veille sur l'ordre de la salle leur demandent de se taire. Mais il réagit agressivement avec le policier en lui disant : «La Cour n'est pas encore rentrée pour que nous nous taisions». Le policier se dirige vers lui et lui demande de quitter la salle sans faire de problème. Le jeune le supplie de le laisser. Le policier lui demande de le suivre. « Il faut se taire dans la salle d'audience et il ne faut pas réagir d'une façon agressive car ce sont ces réactions agressives qui ont mis ces gens au box des accusés», lui dit calmement le policier en dehors de la salle d'audience. «Excuse-moi, j'ai réagi ainsi car j'attends la sentence de mon frère», lui affirme le jeune. «Lequel ?», lui demande le policier. «Le garçon qui a tué le boucher», lui répond le jeune. «Ah, ce jeune qui s'appelle Rachid ? », lui réplique le policier. «Oui», affirme le jeune qui retourne à la salle d'audience pour entendre la sentence qui sera rendue par la Cour contre son frère. Ce dernier vient d'être conduit par les policiers à la salle en attendant la rentrée des magistrats. Il regagne sa place et baisse la tête comme s'il se remémorait son crime. Il regrette son acte. «Je n'avais pas l'intention de le tuer, mais seulement de le maltraiter», disait-il à la Cour lors de l'examen de son dossier deux ou trois heures auparavant. «On ne juge pas les intentions, mais les faits, car seul Dieu sait ce que cachent les intentions» lui précise le président de la Cour. Rachid a vingt ans. Il est le cinquième de ses frères et sœurs. Il n'a pas dépassé la huitième année de l'enseignement fondamental. Les deux ou trois ans de chômage qu'il a passé à la rue ne lui ont appris que la consommation de boissons alcoolisées et de haschisch. «Saïd a accepté que tu travailles avec lui afin que tu apprennes le métier de boucher», lui propose son père. Rachid accepte, lui aussi ne supporte plus cette situation d'oisiveté. De plus, il lui faut de l'argent pour prendre sa dose en haschisch et en vin rouge. Il rejoint Saïd qui n'a pas hésité à le prendre par la main pour lui apprendre comment utiliser le couteau, le coutelas, hacher la viande…Rachid était très content. Il est convaincu qu'il n'y a pas mieux que d'apprendre un métier et travailler pour avoir de l'argent sans tendre la main. Les jours passent et Rachid devient de plus en plus collé à son employeur. Une première année passe, puis une deuxième et leur relation est devenue celle d'un père avec son fils. Seulement, personne ne sait comment cette relation s'est changée en un clin d'œil. Un soir d'août 2001, le boucher Saïd était sur ses nerfs. «Il n'y a personne avec moi que lui…Qui aurait pu voler la recette ?…», pense-t-il avec une nervosité inhabituelle. Ses voisins ne l'ont jamais vu dans un état pareil. «Seul lui aurait pu faire cela, bien que je le traite comme mon propre fils…», affirme-t-il à son voisin du souk. Le père de Rachid était son ami, Saïd n'a donc pas osé lui en parler. Mais il a décidé de renvoyer une fois pour toute Rachid, sans créer le moindre problème avec son père. Le lendemain, Rachid arrive le matin pour reprendre son travail. «Ne mets plus tes pieds chez moi, espèce de voleur et de tricheur…Je n'aurais jamais pensé que tu puisses me trahir…je t'ai considéré comme mon fils, mais tu n'es qu'un bâtard. Dégage !», lui lance Saïd en criant. Les voisins du Souk interviennent. Rachid reste bouche bée, stupéfait, ne sachant quoi répondre. Mais comme réveillé d'un sommeil profond, il commence à crier en lui demandant : «Mais tu dois me verser mon salaire…je ne te laisserai pas tranquille si tu ne me verses pas mon argent…C'est toi le voleur et non pas moi…». Rachid retourne chez lui. «Pourquoi m'a-t-il traité de voleur, je n'ai jamais mis un seul sou illicite dans ma poche…», dit-il à son père, les larmes aux yeux. Son père tente de le calmer : «Je vais lui parler ce soir Incha Allah». «Non, je veux mon argent, mon salaire, pas plus », rétorque-t-il. Le soir, Rachid achète deux bouteilles de vin rouge, se réfugie dans un coin de la rue, commence à s'enivrer. D'un verre à l'autre, l'image de Saïd commence à lui perturber la soirée. Au dernier verre, Rachid se lève, se dirige vers la boucherie de Saïd. Il se plante devant lui, lui demande son argent. Saïd le supplie de s'en aller et de revenir quelques heures plus tard. Mais Rachid n'entend que le ton des verres de vin rouge qu'il a bus. Il menace Saïd lui demande de sortir. Le boucher n'a pu supporter les provocations de Rachid. Il sort, le pousse violemment. Hors de lui, Rachid se saisit d'un couteau. Et bien que titubant, il a la force d'asséner des coups de couteau à Saïd. Celui-ci tombe à terre. Rachid lui donne des coups de poings. Les badauds s'attroupent, interviennent, arrêtent Rachid. Saïd rend l'âme. A la salle d'audience, cette image hante l'esprit de Rachid qui se sent plongé dans un puits profond quand il entend le juge rendre la sentence: 20 ans de réclusion criminelle.