Entretien. Driss Lachgar, membre du Bureau politique de l'USFP et chef de son groupe parlementaire parle de son expérience à la tête de la Commission d'enquête du CIH. Aujourd'hui Le Maroc : Ces derniers temps, vous vous êtes confronté au Parti de la justice et du développement (PJD), et au ministre des Affaires islamiques. Quelles sont les raisons de ces tirs à boulets rouges ? Driss Lachgar : En toute franchise, je crois au droit à la divergence. L'ambiguïté suscitée par le PJD est due à cette sorte de mariage flou entre la religion et le politique. L'une des caractéristiques du succès de la démocratie, dans n'importe quel pays, consiste en l'unité de la Nation. Et la réussite de celle-ci est, à son tour tributaire de l'unité de la religion. Une valeur ajoutée dont dispose le Maroc. Mais, le PJD veut faire le monopole de la religion musulmane, laquelle appartient à tous les Marocains, en mettant à sa guise les frontières entre le licite et l'illicite. Les dirigeants de ce parti ont choisi l'amalgame au lieu de la lutte politique et la confrontation entre les projets économiques, sociaux et culturels. Une attitude qui sape l'unité religieuse et confessionnelle du peuple marocain et porte atteinte à sa constitution, laquelle consacre le monarque en tant que commandeur des croyants. Le combat que nous menons contre cette attitude n'a rien de provisoire ou d'éphémère. C'est une lutte principielle contre ceux qui appellent à la division de la Nation marocaine musulmane malikite et contre le monopole de la religion et du domaine du Sacré par une poignée de personnes qui agissent au nom de l'Islam. Nous aurions aimé que ce conflit puisse se dérouler autour des idées, mais dans la pratique, nous avons constaté qu'il y a eu un penchant vers la violence, comme cela s'est manifesté lors de la lutte autour du Plan pour l'intégration de la femme au développement. Et à maintes reprises, nous avons entendu des insinuations portant préjudice à notre égard et à l'ensemble des composantes de la gauche. Des fois, l'on a vu des imams distribuer, juste après la prière, des invitations à des activités politiques de ce parti ; et ce contrairement aux dispositions de la loi et aux règles insistant sur le maintien de la religion à l'écart des tractations politiques partisanes. Cela justifie -t-il votre accrochage avec le ministre des Habous et des Affaires islamiques ? Franchement, j'ai toujours rejeté de mon esprit l'idée que le ministre des waqfs est proche du PJD, mais après ce que nous avons vu, notamment à travers ses discours et ses positions déclarées, nous ne pouvons que déplorer cette profonde sympathie du ministre à l'égard de cette formation politique. La preuve c'est que même en optant pour l'opposition, le PJD a continué à voter en faveur du budget de ce ministère. Et que dites-vous des dernières déclarations de Abbas El Fassi à la deuxième chaîne de télévision ? D.L. : De prime abord, nous devons situer la création de la commission d'enquête dans le contexte global du pays lequel se caractérise par l'avènement du gouvernement de l'alternance, la succession de S.M. Mohammed VI sur le trône et l'absence de toute expérience dans le domaine des commissions d'enquête. Car, toutes celles qui ont précédé celle du CIH n'ont pu aboutir à leur fin et leurs effets réels étaient nul. En fait, nous n'avions pas l'habitude de voir des ministres et hauts responsables refuser de prêter serment devant une commission d'enquête et lui fournir les renseignements dont elle avait besoin. Depuis fort longtemps, ils se croyaient se situer au-dessus de la loi. Est-cela la raison de l'absence des attributions au niveau des commissions parlementaires ? La loi organique dote les commissions d'enquête parlementaires de prérogatives et attributions, mais celles-ci sont dépourvues de la force matérielle nécessaire à leur application. Pour remédier à cette situation, nous avons présenté un texte de loi obligeant toute personne interpellée par la commission à s'y rendre. Vous ne voyez pas qu'il aurait été bénéfique pour le pays d'adopter une amnistie économique et financière, comme cela s'est fait au niveau politique et dans le domaine des droits humains ? Certains observateurs disent d'ailleurs que vous voulez envoyer les gens à la prison. Est-ce vrai ? Que dieu les pardonne. Ces observateurs auraient dû revenir à mes interventions lors de la discussion de la loi de Finances. Bien avant la constitution de la commission d'enquête du CIH, j'avais préconisé la même recette adoptée dans le domaine des droits humains. En termes plus clairs, j'ai dit qu'il faudrait d'abord mettre fin aux pratiques du passé et attendre ensuite que la société, avec toutes ses composantes, puisse apporter les solutions adéquates à ce genre de problèmes. Aussi, lorsque nous préconisons la création de commissions d'enquête, nous le ferons pour attirer l'attention des acteurs potentiellement concernés de la nécessité de tenir compte de l'évolution de la société et du changement intervenu au niveau des rapports entre les différents partenaires sociaux . Mais comment expliquez-vous la lenteur de la procédure qui mène du Parlement à la justice et de la procédure judiciaire elle-même ? Les phases de transition démocratique ne peuvent être que de cette manière. Seuls dans les pays où les gouvernants aboutissent au sommet de l'Etat sur le dos des chars que la lenteur n'existe pas. Car, il suffit, dans ce cas, que l'on décrète une mesure de sanction à l'égard de certaines personnes, pour que celles-ci soient arrêtées et condamnées de manière expéditive et sans garanties de loi. Mais de telles pratiques sont rejetées chez nous. Dans les pays démocratiques, comme le Maroc, le suspect est innocent tant que les chefs d'inculpation à son encontre ne sont pas prouvés. Il s'agit, donc, d'une question de choix entre deux projets de société. Est-ce que nous ne voyez-pas que la lenteur de la procédure jette la confusion dans les esprits des investisseurs ? Après la Commission d'enquête, j'ai visité quelques pays dans le cadre de la diplomatie parlementaire, et je peux vous dire que j'ai été agréablement surpris par l'écho favorable dont elle bénéficie dans ces pays, notamment en Corée et à en Finlande. Deux pays sur lesquels nous comptons dans le domaine de l'investissement. Car, pour eux, le Maroc est un Etat de droit, non des directives par le haut et des appels téléphoniques arbitraires qui ne laissent aucune trace. Enfin, quel regard portez-vous sur les prochaines élections ? En quelques mots, je dois dire que les citoyens ont trois options devant eux : ou bien le saut dans l'inconnu en se jetant dans les bras du fondamentalisme, ou bien la reproduction des pratiques du passé (d'avant l'alternance) et la reconduction de ses symboles, ou bien le chemin de l'avenir et la consécration de l'USFP en tant que valeur ajoutée.