A la veille des vacances parlementaires qui éloignent tout risque de renversement du gouvernement, Sharon en bon tacticien prend son temps. Il continue à maintenir sur le feu, toutes options pour en faire baisser les prix. L'heure de vérité pour la formation du gouvernement d'union, en Israël, semble s'approcher. Après s'être lancés défis et invectives à travers les médias, Tomy Lapid et Shimon Peres ont compris que leur intérêt commun leur commandait de mettre fin à leurs querelles et de serrer les rangs à l'approche du dénouement. Certes, leur rencontre, vendredi, n'a pas abouti, comme l'espérait Lapid, à un accord en bonne et due forme par lequel la Avoda (travailliste) s'engage à ne pas entrer au gouvernement sans le Shinouï. Ils ont décidé, seulement, de collaborer plus étroitement, comprenant qu'en fin de compte, l'application du plan de désengagement est impossible sans leur participation commune. Il ne fallait pas permettre à Sharon de les jouer l'un contre l'autre et Sharon aussi le comprend. Il sait que l'option idéale dans cette perspective serait effectivement le gouvernement d'union laïc Likoud, Avoda (travailliste), Shinouï. Mais il se heurte à une trop forte opposition à cette solution, dans son propre parti, le Likoud. Théoriquement, un des partisans du plan de désengagement, pour lequel il a voté avec Netanyahou – en y apportant certes quelques amendements-, est le ministre des Affaires étrangères, un allié de Sharon de toujours . Sylvain Shalom, a, cependant, pris la tête de l'opposition à l'élargissement à gauche du gouvernement. Un tel gouvernement laïc, argue-t-il, serait un divorce avec la majorité des électeurs du Likoud, religieux et traditionalistes. Une rupture avec l'attachement traditionnel du parti au caractère juif accentué de l'Etat et un suicide sur le plan électoral. Dans l'arrière-fond, Shalom naturellement, ne le nie pas. Il défend, avant tout, son poste de ministre des Affaires étrangères, qui est fait, pourtant, comme un gant pour Shimon Peres. L'espoir des soutiens de Sylvain Shalom, est que le Parti travailliste pourrait faciliter la vie à Shalom en acceptant d'entrer au gouvernement uniquement pour promouvoir le désengagement. A savoir, sans demander aucun portefeuille comme l'avait fait Béguin, en 1967, en se joignant au gouvernement Lévi Echkol à la veille de la Guerre des Six Jours. Mais cela serait trop demander à un parti mal à l'aise dans l'opposition tant il a la nostalgie des responsabilités ministérielles. Pour tenter de désarmer cette opposition, Sharon, parallèlement, a entamé des négociations avec les deux partis harédi (orthodoxes), Shass et Yahadout Hatorah, qui tous deux, après des hésitations au départ, sont disposés à certaines conditions onéreuses, à se joindre à la coalition. Sharon n'a aucune difficulté à convaincre Shimon Peres à ne pas entrer seul au gouvernement et à accepter la cohabitation avec un ou les deux partis religieux. Le chef du Parti travailliste répète à l'envi qu'il ne jetait d'exclusive contre personne. Le problème est le veto de Shinouï qui voit dans la lutte contre les partis harédim sa raison d'être et ne veut pas entendre parler de cohabitation. Sharon pourrait, théoriquement, contourner cet obstacle en renonçant aux 14 sièges de Shinouï au profit des 11 du Shass et des 5 de Yahadout Hatorah. De plus, cela aurait l'avantage de réduire le camp des opposants au sein de son propre parti, le Likoud qui refuse une coalition laïque. Le parti orthodoxe ashkénaze n'ayant pas pris de position en pointe contre le désengagement, pourrait se résoudre à lever son opposition de principe à l'évacuation des colonies, sous couvert d'un avis motivé de ses chefs spirituels. La position de Shass est plus délicate. Tournant le dos à ses déclarations autérieures, - privilégiant le sauvetage de vies humaines aux terroristes-, son chef spirituel, le Rabbin Ovadia Yossef a vivement condamné le plan de désengagement considéré, soudain une menace à la vie des Juifs. Par contre, ses proches disent cyniquement « Si c'est le prix de l'entrée du Shass au gouernement, le Rabbin changera à nouveau d'avis ». Mais rien ne peut garantir à Sharon que ces deux partis, connus a priori opposés à l'idée du désengagement, ne fassent défection à l'heure des votes décisifs à la Knesset ou en se résignant, au mieux, à s'abstenir. La présence du Shinouï reste donc indispensable. L'application du plan de désengagement étant la raison d'être de tout le remaniement gouvernemental projeté, Sharon ne peut se résoudre à une solution aussi hasardeuse. Il voudrait, donc, convaincre le Shinouï à lever son veto et à accepter la cohabitation avec au moins Yahadout Hatorah, un parti harédi moins haï que le Shass. Le chef de cabinet de Sharon, le principal promoteur du plan de désengagement, Doubi Weisglass, a employé une parabole pour convaincre Tomy Lapid. Il lui a dit en lui rappelant un planeur : « Pour voler, le planeur a besoin d'un avion qui le mène à des milliers de mètres de hauteur. Arrivé à cette altitude, il le lâche et la planeur doit se débrouiller seul en profitant des courants d'air. Qu'il continue à voler ou s'écrase, tout dépend désormais de son pilote ». Ainsi, le Shinouï a eu besoin de la haine des harédim pour arriver à la hauteur de 15 députés. Si le parti politique veut continuer à progresser, en aspirant à devenir le second parti du pays, il doit se trouver, en plus, un ordre du jour politique. Le désengagement est, donc, le thème tout trouvé. A la veille des vacances parlementaires qui éloignent tout risque de renversement du gouvernement, Sharon en bon tacticien prend son temps. Il continue à maintenir sur le feu, toutes options pour en faire baisser les prix. De plus en plus de voix s'élèvent pour qu'il mette fin à ces jeux et fasse preuve d'autorité. Il doit trancher, sans plus tarder, car dans le monde, les événements n'attendront pas toujours. Bien plus, le quotidien Haaretz, considère dans un éditorial original : «L'image publique du chef du Parti travailliste souffre d'un dédoublement de personnalité. En qualité d'homme d'Etat, Peres est connu, en Israël et dans le monde, comme un homme d'initiative capable de dégeler des situations politiques en proposant des solutions. Son rôle de moteur du processus d'Oslo lui a valu le Prix Nobel de la Paix. En tant que politicien, Peres est toujours apparu comme incapable de réunir une coalition pour emporter des élections et diriger un gouvernement. Son refus de se retirer de la vie politique même arrivé à la neuvième décennie de sa vie, n'a pas accru la sympathie envers lui ». Selon l'éditorial, «beaucoup doutent qu'il le fait uniquement dans l'intérêt du pays et qu'il fuit le pouvoir et les honneurs. Peres est, à présent, dans une situation politique qui lui permet, avec son parti, d'améliorer cette image et d'œuvrer en faveur d'une cause nationale majeure ». Le chef du gouvernement a besoin du Parti travailliste. Sans lui pas de majorité pour le retrait de Gaza. Le Parti travailliste ne peut, - en présence d'une majorité qui ne le veut pas -, rester de côté et laisser Sharon échouer. Il s'est créé un dénominateur commun entre le courant central du Likoud et le centre de la classe politique israélienne, il ne faut, donc, pas rater cette occasion. Les programmes du Shinouï et de la Avoda (travailliste) – en matière économique, sociale, laïque -, sont différents de ceux du Likoud. Il est évident que les membres du Likoud veuillent rester fidèles à leurs principes en vue des prochaines élections. Dans l'ordre des priorités nationales, l'arrangement politique doit, donc, prévaloir l'arrêt des violences, le sauvetage des vies, le début d'espoir des relations avec les Palestiniens, puisque tout cela n'annule pas les autres aspirations… Il les repousse à un autre stade. Il s'agit de circonstances particulières qui peuvent devenir une chance de saisir si le retrait, malgré tous ses défauts, selon certains, se réalise. Pour que cela arrive, il faut que le Shinouï reste au gouvernement, surtout si Sharon arrive à y joindre un parti harédi. Tomy Lapid a dit dans le passé: «Si le programme du gouvernement est satisfaisant, le Shinouï acceptera de cohabiter avec Yahadout Hatorah». La concession demandée au Parti travailliste est plus grande encore. Il s'agit d'une épreuve pour Peres : la Avoda (travailliste) a le droit de recevoir l'un des trois ministères-clés : Défense, Finances ou Affaires étrangères. Des trois, le moins important est celui des Affaires étrangères. Sharon a déjà obtenu le soutien des Américains, des Européens et des Arabes au retrait de Gaza. La contribution potentielle de Peres, dans ce domaine, ne vaut pas le risque de rupture au sein du Likoud qui menace toute la démarche, s'il continue à exiger les Affaires étrangères auxquelles s'accroche Sylvain Shalom, contre toutes valeurs concernant son parti ou son pays. Le mieux serait, peut-être, que Peres – comme Bégin -, mène son parti à renoncer à tout poste ministériel. L'entrée des Travaillistes au gouvernement, placera ses responsables aux carrefours où se prennent les décisions capitales, ce qui seul implique son entrée au gouvernement. Peres affirme qu'il ne cherche pas les honneurs, il pourra, ainsi, présenter l'entrée de son parti au gouvernement comme étrangère à toute recherche d'intérêts, ce qui ferait rougir Sylvain Shalom. Il pourra avoir l'autorité morale pour exiger l'accélération de l'application du plan de désengagement. En fait, le quotidien Haaretz considérerait qu'il ferait preuve, une fois encore, de sa capacité de diriger, en faisant passer dans son parti, la renonciation totale à tout portefeuille. Il présenterait, toute l'aventure du gouvernement d'union, sous une lumière qui ne pourrait que lui être favorable dans les futures épreuves politiques. Mais cela est une histoire insupportable à tout appareil d'un parti politique qui n'accepterait jamais d'entrer dans un gouvernement sans avoir sa part de postes ministériels. En évitant cette épreuve trop dure aux dirigeants politiques travaillistes, Shimon Peres s'obstinera, donc, de «décoller» Sylvain Shalom de son fauteuil…