Exerçant dans la physique des hautes énergies et physique nucléaire à l'Université Mohammed V de Rabat, le professeur Rajaâ Cherkaoui El Moursli est la première femme marocaine, depuis le lancement du prix L'Oréal-Unesco à en être récompensée, en représentant avec fierté l'Afrique et les Etats arabes. Véritable pionnière, Rajaâ Cherkaoui a été distinguée pour sa contribution majeure à l'une des plus grandes découvertes de la physique : la preuve de l'existence du Boson de Higgs, la particule responsable de la création de masse dans l'univers. Dans cet entretien, elle parle de cette découverte, de sa contribution à l'évolution de la recherche scientifique au Maroc et de ses différentes missions. ALM : Vous avez reçu le prix de la fondation L'Oréal-Unesco pour les femmes et la science, zone Afrique et Etats arabes, que représente pour vous ce prix ? Rajaa Cherkaoui El Moursli : Ce prix est très important. D'abord c'est une reconnaissance internationale de travaux de recherche scientifique. C'est très intéressant car quand on fait de la recherche, on le fait dans l'ombre et rien qui le valorise au Maroc, à part quelques actions initiées depuis quelques années dans l'Université Mohammed V et grâce à son président qui a eu cette idée. Pour moi, ce prix est un message et permettra aux jeunes filles d'avoir un exemple. C'est vrai, au Maroc, on ne peut pas arriver par la science. Une actrice ou une chanteuse sera plus valorisée qu'une scientifique. Maintenant la donne commence à changer, et quand la donne change, ça veut dire que le pays avance et se développe. Plus qu'un prix, c'est un symbole très important pour le Maroc qui est en pleine évolution. Vous êtes récompensée pour votre contribution majeure à l'une des plus grandes découvertes de la physique : la preuve de l'existence du Boson de Higgs, parlez-nous de cette découverte… Les chercheurs avaient depuis longtemps formulé l'hypothèse que les neutrons et les électrons ne pouvaient exister sans une autre particule encore plus petite leur permettant d'acquérir une masse. Cependant, contrairement aux autres composants atomiques, le Boson de Higgs, à supposer qu'il existe, ne pouvait être observé dans des conditions naturelles. Pour l'observer, il fallait forcer des protons à entrer en collision à ultra-haute vitesse et observer le résultat à l'aide d'un détecteur. En 2012, deux merveilles de la science moderne élaborées par un consortium de nations, le Grand collisionneur de hadrons du CERN (LHC) et le détecteur Atlas, ont permis de créer ces conditions. ATLAS étudie les forces élémentaires qui ont façonné l'univers depuis la nuit des temps, forces qui détermineront également son destin final. Pour moi, j'ai contribué de façon significative à la construction, à la simulation, aux essais et au lancement du calorimètre électromagnétique, l'un des sous-détecteurs de l'expérience Atlas. Ce travail a joué un rôle important dans la confirmation de l'existence du Boson de Higgs, une découverte qui a ouvert de nouvelles voies d'exploration de la matière et de l'énergie. Pensez-vous que le Maroc progresse dans le domaine de la recherche scientifique ? Les jeunes marocains constituent une richesse énorme pour le Maroc. Actuellement, le Maroc est en train de faire des appels à projets, ce qui est nouveau. Mais il reste les lois qui gèrent cet argent. Les lois sont anciennes et inadaptées à la recherche. Il faut trouver des solutions pour ne pas perdre cette richesse. Qu'est-ce que cela vous fait de gagner un prix en recherche scientifique, un domaine fort dominé par les hommes ? Il est dominé par les hommes et la femme, aussi elle a un devoir de s'occuper de sa famille. Elle joue un rôle important dans la famille et elle doit concilier entre les deux, ainsi le mari doit la comprendre. Les femmes doivent s'imposer. En Europe, souvent les maris partagent avec leurs compagnes toutes les tâches à l'intérieur et à l'extérieur. Donc, il faut tout partager pour pouvoir y arriver. Vous jonglez entre différentes missions, comment réussissez-vous ce pari ? Je passe des journées et des week-end indéterminables. Parfois je vole un week-ends pour rester avec mon petit fils. Sinon je travaille tous les jours. Le soir, je dois avoir une heure ou deux pour répondre aux emails. Comment manifestez-vous votre contribution à l'évolution de la recherche scientifique au Maroc ? D'abord former les jeunes doctorants à un niveau très élevé, un niveau international. Il ne faut pas arrêter, il faut voir très loin. Je peux dire qu'il faut avoir des politiques qui vont se passer à long terme. Innover n'est pas facile. Quand on innove on dérange. Il faut avoir des gens qui réfléchissent et qui trouvent des solutions à long terme. Que conseillez-vous aux jeunes désirant adhérer à la filière de recherche scientifique ? Les jeunes doivent poser des questions à leurs aînés et qu'ils sachent que ce n'est pas facile surtout dans notre pays. Les jeunes doivent être persévérants parce qu'il y a beaucoup de changements qui vont arriver au Maroc. Donc eux s'ils possèdent un curriculum vitæ intéressant, ils vont se lancer plus vite dans leurs carrières que d'autres. Nous sommes en train de travailler sur le statut de l'enseignant. J'espère que l'enseignant sera valorisé, d'abord dans la société, et deuxièmement du point de vue salaire, c'est très important.