ALM : Parlez-nous d'abord de vous et de votre parcours de réalisateur… Raouf Sebbahi : Je m'appelle Raouf Sebbahi. J'aime bien mon prénom. Je le trouve classe et si rare au Maroc (rires). Blague à part, je suis né en 1983 de parents journalistes à la radio. Mes premiers pas dans l'audiovisuel ont été très précoces. J'ai, en effet, été le plus jeune animateur radio au Maroc à l'âge de sept ans pour une émission animée par les enfants. Mais c'est sans doute le fait d'avoir grandi avec un père non voyant qui m'a poussé à me passionner pour l'image et sa sémiologie. C'est donc naturellement que j'intègre la première promotion de la première école de cinéma du pays, après l'obtention de mon baccalauréat en lettres modernes en 2000. C'est là que vous avez été diplômé ? Trois ans plus tard, en effet, j'en sors avec un diplôme de réalisation audiovisuelle en poche et deux courts métrages dont «Ma ville» qui a été réalisé avant mes vingt ans et primé dans plusieurs festivals. J'intègre, alors, la télévision marocaine en tant que réalisateur et concepteur pour y faire mes armes dans plusieurs genres télévisuels, en commençant par le magazine, puis le documentaire et la fiction. Vous avez aussi un master en écriture… Tout à fait. J'ai, parallèlement, à ma formation, décroché un master en écriture et réalisation cinématographiques au Caire. Depuis, j'enchaîne les projets de fiction entre séries, feuilletons et téléfilms, ce qui m'a permis de me hisser dans la sphère des réalisateurs les plus reconnus du pays et ce à trente ans à peine (faut que je sois plus modeste ?) Rires!! Vous avez tourné beaucoup et très jeune… Je ne me suis jamais éloigné de mon premier amour, le cinéma. J'ai réalisé cinq courts métrages et un premier long métrage en 2013, intitulé «Lferdi» (le pistolet). D'ailleurs, il a été le premier long métrage totalement produit par la SNRT et qui a obtenu grâce à mon insistance pour la première fois un visa d'exploitation commerciale et je me demande pourquoi ils n'ont toujours pas décidé de le sortir en salles ! En 2014, j'obtiens le fonds d'aide des avances sur recettes du Centre cinématographique marocain pour mon second long métrage «Hayat» d'un montant qui s'élève à trois millions quatre cent mille dirhams ! Le rêve ne fait que commencer! Mais je me rends compte que je parle trop, mais c'est parce que je suis né dans un studio de radio. C'est dans les gènes ! Vous êtes en train de préparer votre long-métrage. De quoi s'agit-il au juste? C'est un film ! C'est un voyage. C'est le retour d'une trentaine d'émigrés marocains résidant en France, un retour definitif et chacun pour une raison bien précise. C'est ce qu'on appelle un road movie, un film sur la route quoi. De plus, c'est un quasi huis clos parce que j'ai oublié de préciser qui'ils reviennent tous en autocar et que tout ce passée dans ce véhicule. Sacré challenge en termes de mise en scène. C'est carrément du Sartre sur des roues (rires). Qu'entendez-vous par road movie ? En gros, c'est un film de voyage où l'on raconte le voyage du ou des personnages principaux en images et en sons. C'est un peu grec, ce que les spécialistes appellent «The hero journey». Enfin je crois que la particularité de mon film c'est que 80% de ce que je raconte se passe à l'intérieur de l'autocar dans lequel on se déplace du Nord au Sud de notre beau pays. Est-ce un film sur l'immigration? Au fait dans le long métrage «Hayat» il ne s'agit pas de traiter la thématique de l'immigration ou le genre road movie de manière classique, voire archaïque. C'est surtout un prétexte de rencontre entre des personnages, très profonds et très décalés, résidant à l'autre rive de la Méditerranée. Une sorte de recherche, voire d'expérimentation cinématographique cherchant à confronter des caractères diamétralement opposés dans un espace restreint qui devient personnage principal. Quel est votre budget pour ce film? J'en suis maintenant au montage financier. Vous savez au Maroc, on dépend souvent des avances sur recettes du CCM et, contrairement au système des pays avancés, on est souvent dans ce qu'on appelle le montage financier, et ce jusqu'à la sortie du film. Là, maintenant, j'ai la somme que j'ai obtenue du CCM qui n'est pas du tout suffisante et je cherche des coproductions d'ici et d'ailleurs et le film se fera au montant que nous atteindrons au premier jour du tournage et pour la post-prod «yhenn Allah»! J'en profite pour lancer un appel aux dirigeants des chaînes de télévision de rouvrir les portes de la coproduction parce que sans cette dernière les films marocains auront beaucoup de mal à se faire. Parlez-nous de vos références cinématographiques… Le cinéma, tout simplement. Je regarde tout, les bons, les mauvais, les anciens et les plus récents. Mon idole est David Fincher et plein d'autres. Bien sûr, de chaque courant, de chaque école du cinéma mondial, j'ai dû voir et apprécier quelques films, mais je ne pourrais vous dire que je viens de telle ou telle école. Par contre, je peux affirmer que 80% des cinéastes marocains, dont moi-même, sont obligés de faire partie des néo-réalistes. Faute de moyens, nous sommes obligés de raconter des drames, de parler du social, de tourner dans des décors reels… Ça coûtera toujours moins cher… Quel regard portez-vous sur le cinéma marocain aujourd'hui ? Je suis optimiste, très optimiste. Cela dit, on a besoin de plus de salles de cinéma, de plus de gens du privé qui osent investir, de plus de professionnalisme dans tous les corps de métiers, que les chaînes de télé reviennent au soutien des films. Nous avons besoin de nous aimer, de nous encourager mutuellement et de nous unir. Il faut en finir avec les clans, les pseudo lobbies, etc. On est peu nombreux, on fait l'un des plus beaux cinémas en Afrique et dans le monde arabe… Biographie