Au terme d'une seule rencontre, la Société des eaux de Marseille (SEM) et Ahmed Benabdeljelil s'étaient mis d'accord pour travailler ensemble. Vingt-quatre heures après, ce dernier leur obtient le marché de la collecte des ordures de Hay Hassani. Comment une entreprise peut-elle obtenir un marché public dans le domaine de la collecte des ordures ménagères au Maroc ? Quelles sont les démarches à suivre auprès d'une commune urbaine pour pouvoir être retenue en tant que gestionnaire délégué de l'entretien des réseaux d'assainissement ? La réponse est simple, dira-t-on. Il suffit de déposer un dossier remplissant toutes les conditions définies par l'appel d'offres et d'attendre le verdict de la commission chargée de l'ouverture des plis. Et, si le dossier présente la meilleure offre, le candidat est retenu. Il s'agit là, évidemment, des démarches légales et habituelles. Toutefois, il existe d'autres procédés qui ne suivent pas cet itinéraire, mais qui sont nettement plus efficaces puisqu'ils garantissent un résultat favorable avant même la présentation de la candidature. C'est cette deuxième option que la société adjudicataire du premier appel d'offres de collecte des ordures ménagères lancé au Maroc avait choisi pour obtenir le marché. C'était en 1997, à Casablanca. La Commune urbaine de Hay Hassani avait alors lancé un appel d'offres auprès d'entreprises privées pour la collecte des déchets solides et du nettoiement des rues. L'annonce, qui avait été publiée le 27 février de la même année, avait suscité l'intérêt de plusieurs entreprises marocaines et étrangères. Parmi ces dernières, figurait l'entreprise française "Société des eaux de Marseille" (SEM). Cette entreprise était tellement intéressée par l'offre, cette dernière étant considérée comme la porte d'entrée de cet opérateur vers une pénétration en force du marché marocain. Ses dirigeants étaient prêts à emprunter n'importe quelle voie à même de leur garantir l'adjudication de ce marché. La chance ne tarda pas à leur sourire. Au début du mois de mars 1997, ils seront contactés par la personne qui était en charge du dossier au Maroc, un ingénieur français, qui leur annonce avoir trouvé la personne idéale capable de garantir le succès de l'opération : un homme d'affaires très connu à Casablanca du nom d'Ahmed Benabdeljelil qui, aujourd'hui, n'est plus de ce monde. "Il est président de nombreuses sociétés au Maroc…et entretient un réseau de relations professionnelles étroites avec les collectivités locales et notamment les communes et communautés urbaines, leurs présidents, leurs principaux élus et techniciens", disait-il en guise de présentation de l'intéressé. Le profil était tellement intéressant que la SEM enverra, le 25 mars 1997, son directeur des affaires internationales, Alain Meyssonnier, en personne pour rencontrer Benabdeljelil et négocier avec lui un accord de principe. Après une série d'entretiens, les deux parties parviennent à un accord de principe qu'ils ont consigné dans un protocole d'accord confidentiel garantissant les intérêts des deux parties. Cet accord sera signé le 23 avril 1997, par Ahmed Benabdeljelil, d'une part, et par le président-directeur général de la SEM, Bertrand Dauberlieu, en personne. Selon cet accord, Benabdeljelil, qui y est mentionné comme "Le partenaire", s'engageait à "mettre en œuvre dans les meilleurs délais toutes les démarches nécessaires auprès de la commune de Hay Hassani et de ses décideurs pour l'obtention du marché de collecte et de nettoiement en cours d'attribution". Pour ce faire, les deux parties ont convenu d'engager "les frais de toute nature…y compris à l'égard de tiers intermédiaires ou intervenants qui seront nécessaires pour agir dans ce dossier". En contrepartie de ses bons offices, Benabdeljelil serait associé à 35 % au capital de la société marocaine qui serait créée après l'obtention du marché. Juste après la signature dudit protocole d'accord, le lendemain pour être plus précis, la SEM se voyait accorder l'adjudication. Le 24 avril 1997, la commune urbaine de Hay Hassani a attribué le marché de la collecte des ordures ménagères et du nettoiement à la société française pour une valeur annuelle de 19.950.434,20 Dhs durant sept ans. Ce qui revient à un montant global de 140.000.000 Dhs. Un contrat qui expire début 2005. Toutefois, l'approbation officielle de l'adjudication ne sera définitive que le 21 décembre 1997. Entre temps, Benabdeljelil et le nouveau P-dg des Eaux de Marseille, Loïc Fauchon, signent un accord définitif le 5 décembre 1997 et se mettent d'accord sur l'octroi au premier de 35 % du capital de la Société Eaux de Marseille Maroc (EMM) qui a été créée pour la gestion du marché obtenu par la SEM au Maroc. Cette filiale marocaine de la société marseillaise, qui emploie 5 personnes, selon les données officielles de la maison-mère, reçoit annuellement presque 20 millions de Dhs pour nettoyer et ramasser les ordures de la commune de Hay Hassani. Or, cette commune urbaine, aujourd'hui un simple arrondissement, est l'une des circonscriptions les plus sales de la capitale économique. Un résultat somme tout prévisible, compte tenu de la manière avec laquelle le marché avait été attribué. Telle est l'histoire d'une adjudication qui explique comment est-ce que l'on peut obtenir un marché public et gagner facilement de l'argent en comptant uniquement sur un "Partenaire" ayant un bon réseau relationnel dans l'establishment.