A 85 ans, Abdelkrim Ghallab jette l'éponge. Le départ brutal de cette figure historique de l'Istiqlal doublée d'un intellectuel reconnu a pris de court les dirigeants du grand parti nationaliste. Raisons d'un geste qui en dit long. Après soixante-dix ans de militantisme au sein du Parti de l'Istiqlal et cinquante-cinq ans de travail à la rédaction du quotidien Al Alam dont quarante en tant que directeur de la publication, Abdelkrim Ghallab quitte le navire istiqlalien. Le doyen des journalistes marocains a démissionné, dimanche, de la formation politique et de la direction du journal arabophone estimant que ses "convictions intellectuelle, nationale et politique ne sont plus en adéquation avec ce qui se produit" au sein du parti. Dans un communiqué, Ghallab a expliqué que sa démission intervient en protestation contre la publication par "le quotidien d'articles sans en être consulté ni informé", citant, en particulier, une correspondance datée de Casablanca intitulée "le réseau Laâfora tente de se venger de Abderrazak Afilal". Cet article, qui a été publié samedi dernier, prenait en charge la défense du secrétaire général de l'Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), Abderrazak Afilal contre les accusations dont il a fait l'objet de la part de certaines personnes inculpées dans le cadre du fameux dossier Slimani-Laâfora. "La correspondance a été publiée par le journal sans m'avoir informé, ni préalablement consulté", a expliqué M. Ghallab. Mais, cette bévue aurait pu être pardonnée par le directeur de la publication istiqlalienne. Il fallait juste qu'il manifeste publiquement son désaccord avec la publication dudit article et qu'il puisse ainsi dégager sa responsabilité face au lectorat. Pour ce faire, il a écrit une mise au point dans laquelle il explique sa position et "dégage toute responsabilité concernant la publication de cette correspondance qui évoque un contentieux entre trois personnes à savoir Slimani, Laâfora et Abderrazak Afilal", affirmant que "cette affaire est entre les mains de la justice". Or, le quotidien n'a pas publié, dimanche, la mise au point signée par son directeur ce qui l'a poussé à démissionner. « Je ne suis pas prêt à changer mes orientations et les constantes apprises au sein du parti de l'Istiqlal depuis mon adhésion, alors que j'étais âgé de 15 ans. C'est pourquoi, je présente ma démission de la direction du journal Al Alam, à contre-cœur et avec regret », a-t-il dit. Pourtant, il ne s'agit pas de la première fois que le journal publie des textes qui ne sont pas visés par son directeur. Il y a quelques semaines, une campagne de défense du fils de l'actuel maire de Fès, Hamid Chabat, qui faisait l'objet de poursuites judiciaires, avait suscité la colère de M. Ghallab qui refusait la transformation du quotidien en une tribune de règlement de comptes personnels et insistait pour que le journal continue à respecter les principes qu'il défendait depuis sa création. S'agissant de sa démission du Parti de l'Istiqlal, M. Ghallab l'a expliqué par "les remises en cause des idées enracinées dans ma conscience tout au long de la période passée au sein du parti et les constantes dans lesquelles j'ai vécu", estimant que ses "convictions intellectuelle, nationale et politique ne sont plus en adéquation avec ce qui se produit". Enfin, et en guise de conclusion, il a précisé que "le temps est venu maintenant de démissionner de ce parti". Une conclusion qui révèle l'existence d'un grand malaise au sein de cette formation politique. D'ailleurs, la démission d'un membre aussi important que Abdelkrim Ghallab aura certainement des conséquences sur la direction de l'Istiqlal. Il est à signaler que dans sa lettre de démission, Ghallab a tenu à rendre hommage aux ex-secrétaires généraux du parti et a omis de parler de l'actuel leader, Abbas El Fassi. « J'ai commencé à travailler au journal Al Alam dès les premiers numéros parus en 1946 en toute liberté et dans le respect total de la part de tous les secrétaires généraux et les présidents qui se sont succédé à la tête du parti : Balafrej, Allal El Fassi et M'hamed Boucetta, et aucun article n'a jamais été publié en dehors de ma responsabilité en tant que rédacteur en chef et directeur par la suite, et jamais, aucun mot n'a été modifié dans mes articles qui ont toujours été appréciés et n'ont jamais fait l'objet d'une opposition", a-t-il dit. Ce qui signifie que, si le doyen des journalistes marocains a démissionné, c'est à cause des dérives enregistrées dans la gestion du parti et de sa presse. Un constat consolidé par la réaction de M'hamed El Khalifa qui a qualifié la démission de M. Ghallab de "grande catastrophe" qui signifie que "le parti doit procéder à une autocritique" car "il y a un problème dans la gestion, l'orientation et le comportement du parti". De son côté, l'ex-secrétaire général du parti de l'Istiqlal, M'hamed Boucetta, a estimé que la démission du directeur d'Al Alam est regrettable. "C'est avec un grand regret que j'ai appris cette nouvelle", a-t-il déclaré. Par ailleurs, la plupart des dirigeants istiqlaliens dont le secrétaire général étaient injoignables, hier matin, alors que le Comité exécutif devait tenir une réunion extraordinaire pour examiner la démission de M. Ghallab. Ainsi, le Parti de l'Istiqlal se trouve confronté à l'une des crises les plus graves de son Histoire. Car, c'est la première fois, durant les sept décennies de son existence, que sa gestion est contestée par des membres ayant un important poids politique, une légitimité historique et une grande estime comme M. Ghallab.