Entretien. Pierre Buraglio est un grand peintre contemporain. Il est au Maroc, à l'invitation de Saâd Hassani, pour effectuer un travail en compagnies de deux autres artistes, dans son spacieux atelier Casablancais. ALM : Est-ce que vous connaissez la peinture marocaine ? Pierre Buraglio : Oui, j'ai vu des tableaux de certains peintres comme ceux de Fouad Bellamine que je connais, que j'ai suivi. J'ai regardé d'autres peintres dans des expositions, dans des livres, à l'IMA. Il y a des Occidentaux qui disent que la peinture contemporaine telle qu'elle se pratique en Occident ne peut se développer dans d'autres pays. Qu'en pensez-vous ? C'est très compliqué. N'attendez pas de moi que je donne une vision exhaustive d'une telle problématique. J'ai vu, il y a à peu près 18 ans des tableaux, de Chaïbia que j'ai revus dans des livres et à la Villa des Arts. Sa peinture est proche de l'art brut avec des éléments structurels communs à toutes les civilisations. Je considère son œuvre comme valable où qu'on la montre. Si je devais acquérir quelque chose, sûrement que j'aimerais beaucoup acheter un Chaïbia. Cela dit, elle ne fait pas partie de la famille de peintres dont je me réclame, son art est loin de mes préoccupations esthétiques. Mais qu'en est-il en général ? Aujourd'hui, nous sommes dans une situation que les hommes n'ont pas connue auparavant. On peut se déplacer vite un peu partout dans le monde. Un artiste marocain, s'il fait une réplique de Paris comme les Parisiens ont fait des répliques de Tokyo, il n'apporte rien de nouveau. Il faut mettre en garde les artistes contre ce type de copie. Cela dit, les discours sur les racines culturelles sont étouffants. Ils débouchent sur des œuvres étriquées. L'idéal serait de garder un œil sur ce qui se fait ailleurs tout en portant avec soi, où l'on va, son petit jardin. Mais sur de grandes questions comme ça, comme disait Emmanuel Kant, je préfère pratiquer la suspension de jugement ! L'expérience que vous vivez en ce moment. Que peut-elle vous apporter ? Je ne vais pas tricher. Je ne vais pas dire que ça va bouleverser mon travail. Je suis là parce que j'estime le travail des peintres présents. Pour moi, c'est une expérience d'une autre nature. C'est une grande stimulation que de produire quelque chose dans une durée limitée ! C'est également prêter attention aux œuvres des autres. Le principe me plaît. On s'éloigne de plus en plus de l'acte de peindre. Vous êtes resté résolument peintre pendant toutes vos périodes. Croyez-vous en l'avenir de la peinture? Si l'on voit ce qui se passe dans un certain nombre d'écoles des Beaux-Arts en France, on peut effectivement être alarmé. Parce que l'arrivée massive des techniques nouvelles a relégué la peinture au rang d'un art quasi archaïque. Je n'ai rien contre les techniques nouvelles. Il est évident que se servir de l'informatique fait partie de la vie ! Mais cet envahissement des nouvelles technologies dans l'art. Cet engouement pour la photographie, haussée aujourd'hui au rang de l'une des expressions majeures de l'art contemporain. Ces installations et toutes ces nouvelles formes d'art… Elles peuvent coexister avec des catégories traditionnelles, mais jamais s'y substituer. Leur attrait sur les artistes est de plus en plus grand… Malheureusement, et plus que malheureusement, c'est un véritable scandale ! Dans nombre d'écoles d'art, il y a une opposition à la peinture. Il me semble que la peinture, la sculpture, la poésie, la composition musicale qui mettent un homme face à lui-même, et qui permettent de réaliser un travail avec des moyens relativement modestes, gardent intact leur pouvoir de création. Il me semble que c'est un cliché, sans fondement, que de considérer ces catégories traditionnelles comme obsolètes.