Le mal est profond et gangrène les rouages administratifs, judiciaires et les mécanismes économiques. La société civile et les médias ont un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre la corruption. Une œuvre de salubrité publique qui nécessite l'engagement de tout le monde. Les spots télévisés, radiophoniques, les affiches et les annonces presse pour la moralisation de la vie publique ont atterri depuis quelques semaines dans le quotidien des marocains. Une première du genre à l'initiative de la commission nationale de moralisation de la vie publique. L'objectif est la sensibilisation des citoyens sur les conséquences que peuvent avoir des pratiques devenues une constante de la vie quotidienne. Manque de civisme, absence de transparence, manque de respect d'autrui, inégalité devant le droit, fraudes en tous genres, sont dépouillés au fil des spots de ce voile de banalité qui, à force de répétition, a fini par les recouvrir, pour révéler des tragédies humaines. Nées d'une négligence, d'une fraude, de libertés prises avec l'éthique. Des tragédies dont personne n'est à l'abri. La démarche aura innové en cela. Raconter dans un style « journalistique » des malheurs qui auraient pu être évités, si le civisme et l'intégrité n'avaient un moment été mis en veilleuse. Les thèmes sont directement tirés de la vie quotidienne des citoyens. La langue est facile, accessible. La relation est simple, avec juste assez d'émotion pour placer chacun dans la situation. C'est ce que les concepteurs de la campagne ont qualifié de phase de « sensibilisation », destinée à porter « un choc positif » à l'audience. A faire prendre conscience de la gangrène de la corruption, sous toutes ses facettes, et de ses incalculables conséquences sur la destinée de pans entiers de la société. Une fois ce « choc positif » réalisé, la campagne s'emploiera durant le reste des 10 semaines qu'elle durera, au cours d'une phase dite de « preuves », à capitaliser cette « prise de conscience » à travers une synthèse des dispositions du droit qui protègent les citoyens contre les abus. Parallèlement, tables rondes et journées portes-ouvertes viendront concrétiser l'implication des différentes administrations, du secteur privé et de la société civile dans la campagne. Sur le plan technique donc la démarche semble avoir réuni tous les ingrédients du succès. Des spots mettant en scène des citoyens et s'adressant aux citoyens, en relation directe avec leur vie quotidienne. Un style digeste, facilement assimilable par les masses. Des phases soigneusement dispensées pour avoir le plus grand impact possible. Sur le plan « administratif », la campagne aura également su éviter bien des impasses. Ahmed Lahlimi aura réussi à impliquer toutes les parties concernées. Tordant le cou par la même occasion à l'idée que la lutte contre la corruption est de l'exclusif ressort du gouvernement, qui récolterait les fruits de sa réussite, comme les épines de son échec. Désormais l'échec comme la réussite de cette campagne impliquent également les organismes publics, les entreprises du secteur privé, les organisations de la société civile, les supports de presse et toutes les parties qui de près ou de loin ont pris part à son élaboration. Les assises qui avaient associé plusieurs départements ministériels, des ONG, des associations professionnelles, en prélude à l'élaboration de la campagne, visaient justement cet objectif. La rencontre de concertation organisée par Ahmed Lahlimi avec les représentants de la presse nationale, s'inscrivait également dans ce cadre, ces derniers ayant été invités à ouvrir gracieusement leurs pages aux insertions de la campagne. Les premiers spots sont donc tombés et avec eux, peut-etre, quelques briques du mur psychique qui s'etait dressé entre le citoyen et toute possibilité de dénoncer et combattre les abus. Certes, les reproches ne manquent pas. La corruption étalée sur la place publique à la faveur de grands scandales comme ceux de la CNCA, du CIH, de la CNSS et bien d'autres dossiers chauds ne sont pas directement pointés du doigt. Des têtes, à valeur d'exemple, ne sont toujours pas tombées. Pour bien des citoyens, cela est autrement plus important que les cas, « relativement limités », relatés dans les spots. La campagne aurait pu en faire de ces grandes affaires son cheval de bataille, dit-on. Les concepteurs, eux, ne l'entendent pas de cette oreille. Ils s'agit, répètent-ils, non de faire des procès à n'en pas finir, ce qui est du ressort de la justice, mais de promouvoir une culture citoyenne. Car, c'est à ce prix que sera combattue à sa base, la gangrène de la corruption. L'avenir montrera le bien fondé de cette théorie.