ALM : Militant socialiste, vous venez de révéler votre graine d'écrivain à travers un premier roman intitulé « La Patrie mérite quelque chose ». L'écriture est-elle une nouvelle forme de combat pour vous ? Hassan Tarek : Je me suis toujours confronté à la page blanche, sauf que c'était dans un autre registre d'écriture. En tant que militant, j'ai écrit des chroniques politiques, rédigé des communiqués au sujet des travaux de la section jeunesse de l'USFP… Dans ce genre d'écriture, le « je » s'efface au profit du groupe auquel j'appartiens. L'écriture était une sorte de chambre d'enregistrement des préoccupations et des aspirations exprimées collectivement. Aujourd'hui, je crois qu'il est temps de laisser libre cours à l'imaginaire. C'est pour cela que je me suis plongé dans la fiction. « La Patrie mérite quelque chose » reflète ce désir de revenir à soi. Mais ce serait une erreur que de croire que ce virage implique une rupture avec la politique. La politique reste d'ailleurs au cœur de mon premier roman. Dans ce roman, publié récemment aux éditions de l'Union des écrivains du Maroc (UEM), je confronte des personnages socialistes issus de deux générations différentes. D'une part, il y a la génération des années quatre-vingt-dix qui est aussi la mienne, et de l'autre, la génération des années soixante-dix représentée par un personnage auquel j'ai donné le nom du « Professeur » (Al Oustad). Pour différentes que soient ces deux générations, elles partagent un même rêve: partir. Le personnage du «Professeur» veut émigrer sous des cieux plus cléments après avoir vu le grand rêve de changement partir en fumée. Pour les personnages de ma génération, ils veulent partir parce que leur pays n'a pu leur trouver de l'emploi. Le personnage du « Professeur » qui voulait changer la vie s'est contenté de changer d'avis. Aujourd'hui, notre génération ne se fait plus d'illusion sur le rêve de changement. En revendiquant du travail, elle ne cherche qu'à vivre dans la dignité. Mais même ce petit rêve n'est pas permis. Votre démission, il y a deux mois, de votre poste de secrétaire général de la jeunesse USFP a donné lieu à différentes interprétations. Qu'est-ce qui vous a vraiment poussé à prendre cette décision ? Je dois d'abord préciser que je n'ai jamais postulé à une telle responsabilité. Au début de l'année 2004, le poste de secrétaire général de la jeunesse USFP est resté vacant après le départ de Soufiane Khaïrate. J'ai été mis devant le fait accompli pour assumer cette responsabilité. Seulement, juste après mon élection, les problèmes ont commencé. En effet, un groupe au sein de la direction de l'USFP voulait choisir, voire décider, pour nous. Il y avait de quoi s'inquiéter pour notre liberté d'initiative et d'action. J'ai finalement compris qu'on voulait juste que j'assure la transition dans l'attente de la tenue du 7ème congrès de la jeunesse USFP. J'ai essayé bon gré mal gré de gérer la crise en faisant des concessions. Auparavant, je me disais que cette pression exercée sur la direction de la section jeunesse du parti n'était que la manifestation d'un excès de zèle de la part de quelques dirigeants. Mais le temps a fini par me convaincre que cette pression était bel et bien réfléchie, voire orientée. Il n'y avait alors devant moi qu'un seul choix : mettre la clé sous le paillasson. Et c'est ce que j'ai fait, il y a maintenant deux mois. Le courant des « Nouveaux socialistes » à la création duquel vous avez appelé n'est-il pas la goutte qui a fait déborder le vase ? Ce courant est installé depuis bien longtemps. Il est né du fait qu'il n'y avait pas de formule garantissant l'existence de la diversité et de la pluralité au sein de l'USFP. Par le lancement de ce courant d'opinion, nous voulions susciter le débat sur un certain nombre de questions, dont celle de la démocratisation interne du parti. Pour nous, l'USFP ne pouvait devenir un parti fort sans parvenir à intégrer l'élément indispensable de la diversité des opinions et assurer, de ce fait, le principe de la rotation des élites aux postes de responsabilité. Ce qui est le cas des plus grands partis social-démocrates. Le principe de rotation n'était qu'une revendication parmi tant d'autres. Au-delà de ce principe, nous avons réclamé la limitation du mandat des membres dirigeants, le non-cumul des responsabilités au sein du parti ou dans les instituions publiques. Pourquoi la direction de l'USFP s'est-elle opposée à la création des courants ? Pour plusieurs raisons. Il y a d'abord cette peur quasi héréditaire de la différence interprétée non comme porteuse de richesse, mais comme un danger, tant et si bien qu'elle est présentée comme un stratagème pour affaiblir le parti. Il y a, également, ce regard de méfiance à l'égard des jeunes leaders que l'on veut écarter des postes de responsabilité, au seul profit des vieux caciques du parti. De ce fait, nous avons rencontré une résistance farouche de la part de ces derniers. Il aura fallu opérer une véritable révolution des mentalités pour faire bouger les choses. Une chose reste sûre : les réflexes de rejet manifestés confirment le bien-fondé de nos choix. Ces réflexes appartiennent à une autre époque, ils sont de ce fait passés de mode. Nous sommes de plus en plus nombreux à penser que l'avenir du parti passe nécessairement par la confrontation des idées, qui est d'ailleurs à la base de toute démocratie qui se respecte. Pour vous, Mohamed Elyazghi incarne-t-il le renouveau socialiste revendiqué ? M. Elyazghi est le seul premier secrétaire à ne pas avoir fait face à une opposition déclarée au sein de la direction de l'USFP, à l'opposé de tous ceux qui l'ont précédé. C'est vraiment une grande chance pour lui. Aujourd'hui, il doit réaliser qu'il est temps de se débarrasser de l'image de « l'homme d'appareil » qu'il a su cultiver et comprendre qu'il doit être le premier secrétaire de tous les Usfpéistes. Que pensez-vous de la montée de la gauche d'opposition ou, comme vous l'appelez, «la gauche de la gauche» ? Cette montée indéniable est un indicateur très positif dans la mesure où la social-démocratie représentée par l'USFP et la gauche de la gauche partagent le même référentiel socialiste, les mêmes valeurs, dont notamment l'égalité des chances, la répartition équitable des richesses, la modernité, la rationalité… Je crois que la montée de la gauche de la gauche ne se fera pas forcément au détriment des social-démocrates. Nous défendons le même projet de société. Maintenant ce qui concerne nos divergences, elles se situent principalement au niveau des positionnements politiques : la position, par exemple, à l'égard de la participation au gouvernement, l'opportunité de la réforme constitutionnelle, la perception de la transition démocratique… Mais je dois dire que ce qui nous unit est beaucoup plus important que ce qui nous divise. Nous sommes d'accord sur les grands choix politiques en relation avec la question féminine, la mise à niveau sociale, le projet culturel, l'affrontement de l'idéologie intégriste… Votre rapprochement ces derniers temps avec le vice-secrétaire général du Parti socialiste unifié (PSU), Mohamed Sassi, n'a pas laissé indifférent. Que représente pour vous cet homme politique ? Mohamed Sassi incarne pour moi l'avenir de la gauche marocaine. Fort d'une longue et remarquable expérience politique, pétri de remarquables qualités humaines, il a de grands atouts pour donner un nouveau souffle à la gauche. En ce qui concerne mon rapport à M. Sassi, il ne date pas d'aujourd'hui. M. Sassi a toujours été pour moi un maître à penser. J'ai tant appris auprès de lui quand il était secrétaire général de la jeunesse USFP. J'ai partagé avec lui l'expérience enrichissante à la rédaction de l'hebdomadaire «Annachra». Pendant ce bout de chemin, j'ai eu, certes, des divergences avec M. Sassi. Mais ces divergences étaient très naturellement d'ordre intellectuel. L'intégrité de M. Sassi n'était pas à mettre en doute et son honnêteté intellectuelle non plus. Je dois dire qu'il est l'un des rares hommes politiques à rester honnête. Croyez-vous qu'il y aura un «raz-de-marée islamiste» lors des élections de 2007 ? Il n'y aura pas de raz-de-marée islamiste et ce pour plusieurs raisons. Il y a d'abord la nature du mode de scrutin qui ne pourrait en aucun cas favoriser un seul parti et lui permettre de remporter la majorité absolue. Et puis, contrairement à ce que l'on pense, les islamistes ne tirent pas leur force de leur nombre. Ils ne constituent qu'une minorité par rapport à la base populaire des autres partis. Mais le grand atout de cette minorité reste sa capacité à s'organiser et à se mobiliser. La force des islamistes, si force il y a, se nourrit de la faiblesse des partis de gauche. En plus, le Parti islamiste de la Justice et du Développement (PJD) a déjà brûlé ses cartes. Au-delà de ses positions discréditées, il ne peut plus prétendre qu'il est un parti vierge. Plusieurs membres de ce parti ont assumé des responsabilités au sein des institutions publiques (Parlement, conseils de villes, etc). Ce qui fait du PJD un parti comme les autres. Quel scénario envisagez-vous pour le Maroc au cas où les islamistes seraient au pouvoir ? Il y a au Maroc une institution monarchique forte et acquise aux valeurs de démocratie, de modernité et de progrès. De ce fait, elle constitue notre rempart contre les forces réactionnaires. Il y a également au Maroc un courant démocratique en mesure de contrecarrer les visées intégristes. Bref, le Maroc est à l'abri du sinistre processus de « kaboulisation » voulu par les intégristes. Ceci dit, il faut rester vigilant. Les islamistes sont à l'affût de la moindre hésitation pour «inverser la situation» à leur propre profit. A défaut des islamistes, la Koutla, et plus particulièrement l'USFP, a-t-elle des chances d'avoir la majorité aux législatives de 2007 ? La Koutla a évidemment des chances de remporter les prochaines législatives, mais la question qui me taraude est de savoir s'il est de l'intérêt du Maroc que le bloc démocratique reprenne la même expérience gouvernementale avec une majorité manquant de cohésion ; voire de cohérence. Je comprends que la Koutla ait participé aux législatives de 1998. Elle a d'ailleurs joué un rôle important dans l'ouverture de grands chantiers sous la conduite d'Abderrahmane El Youssoufi. En ce qui concerne les législatives de 2002, la participation de la Koutla avait une signification d'autant plus importante qu'il s'agissait de marquer sa présence dans un premier gouvernement sous le règne du Roi Mohammed VI. Les deux dernières étapes avaient des justifications politiques très fortes. Aujourd'hui, toute participation au prochain gouvernement devra se faire sur la base d'un programme de travail homogène et concordant. Ce programme devra être fondé sur des idées, des propositions, des solutions, le tout sur la base du principe de la concurrence. Maintenant, si la Koutla n'a pas la majorité des sièges, je crois qu'il est de l'intérêt de l'USFP de revenir parmi les partis d'opposition. Hassan Tarek, parcours d'un militant C'est dans un village isolé de la ville de Sefrou, à Bhalil, que Hassan Tarek a vu le jour le 1er janvier 1974. Dans ce village, situé à 4 kilomètres de la capitale des cerises, H. Tarek, né d'un père instituteur et d'une mère femme au foyer, a fait de brillantes études primaires. A l'âge de 14 ans, détour par Sefrou. C'est au lycée Lahcen Lyoussi qu'il décroche en 1991 un Bac, branches mathématiques. Après quoi, il change de cap. Au lieu des mathématiques, H. Tarek entame des études en droit à la Faculté Mohammed Ben Abdellah, à Fès. Parallèlement à ce cursus, il a assumé la responsabilité de dirigeant du Comité national du secteur estudiantin de l'USFP (1991-1997). En même temps, il occupait le poste de membre du Comité central de la section Jeunesse du parti de la Rose. En 1995, il décroche une licence en droit. Et puis, en 1997, il récidive et obtient un diplôme supérieur dans les sciences administratives. Après quoi, il intègre le ministère des Finances en tant qu'inspecteur des Impôts. En 2003, après les législatives de 2002, il devient conseiller dans le cabinet de Mohamed El Gahs, secrétaire d'Etat chargé de la Jeunesse. Pendant ce temps, il préparait sa thèse de doctorat en droit public. En 2004, il soutient sa thèse. Durant l'année 2005, il amorce un virage pour devenir enseignant de la matière «droit constitutionnel et sciences politiques» à la Faculté de droit de Settat. Dans cette percée académique, il assure la responsabilité de vice secrétaire général et de porte-parole de la section jeunesse de l'USFP. Après avoir été élu SG de la Chabiba ittihadiya en 2004, il sera en 2005 membre du Conseil national de l'USFP. Aujourd'hui, il vient de révéler une autre vocation : celle d'écrivain. En effet, Hassan Tarek vient de publier son premier roman intitulé « La Patrie mérite quelque chose ».