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Enquête : Un dimanche à Oukacha
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 22 - 12 - 2001

Issus de quartiers démunis, emmurés en eux-mêmes, les jeunes délinquants ne jurent que par elle. Ils voient en Assia El Ouadie leur mère, leur confidente, leur dernière chance de réinsertion. Récit d'une journée pleine d'émotion.
Il est dix heures du matin ce dimanche 16 décembre. Le portail en fer de l'entrée principale s'ouvre dans un grincement assourdissant. Le gardien s'écarte nonchalamment pour laisser passer la voiture d'une femme d'un certain âge. Nous sommes dans le centre de réforme attenant au pénitencier de Oukacha à Casablanca. Assia El Ouadie, qui en est le magistrat superviseur, respire une excitation joyeuse. Et pour cause. C'est une journée pas comme les autres, un groupe de jeunes détenus retrouveront la lumière de la liberté, à la faveur de la grâce royale à l'occasion de l'Aïd El Fitr.
Quelques prisonniers, de corvée d'ordures, se dirigent, le visage souriant, vers Mme El Ouadie qu'ils embrassent affectueusement sur le front. Un mot sympathique pour l'un, un regard titulaire pour l'autre.
Un courant de chaleur humaine flotte dans l'air. Une agitation sympathique règne dans les couloirs des trois quartiers du centre. Les locataires d'un pavillon s'affairent activement à nettoyer le parterre en mosaïque. La même scène de tendresse se répète dès qu'ils aperçurent leur «mère».
On accourt vers elle pour la saluer. Quelques pas et on constate que cette femme provoque des passions. « Toi, tu m'as promis de revenir sur le droit chemin dès que tu auras quitté le centre, n'est-ce pas ?», dit Assia El Ouadie à un jeune portant des habits propres. «J'ai purgé ma peine, je sors aujourd'hui, répond-il, jovial. Je te promets que je ne ferais plus de bêtise. Je reprendrai mon travail dans l'atelier de mécanique pour voitures de mon père».
«La prochaine fois que la mienne tombera en panne, je viendrai la réparer chez toi», dit-elle, contente. Mme El Ouadie entre ensuite dans une chambrée de près de 130 m2 avec des lits superposés alignés côte à côte, qui peut contenir jusqu'à 80 personnes. Certains dorment encore drapés dans leur couverture, d'autres sont déjà debout. Mme El Ouadie demande à voir le garçon qui a attrapé la gale. Il saute immédiatement de son lit et se présente devant elle en relevant les manches de son tricot sombre. Les mains et les bras comme brûlés sont tachetés de rouge. «Oui, j'ai pris le traitement hier. ça va beaucoup mieux aujourd'hui», lâche le malade, les yeux vitreux, d'une voix exténuée. L'air semble comme épaissi par une odeur fétide.
C'est que le centre ne dispose pas d'un réfectoire, les locataires mangent là où ils roupillent. Mme El Ouadie projette de transformer une cour inexploitée de la prison en «restaurant». Les chaises et les tables seraient en ciment fixées au sol. Cette idée enlève un argument aux détracteurs du projet qui craignent qu'un réfectoire avec un mobilier en bonne et due forme ne soit utilisé par les détenus pour se bagarrer.
Toujours cette idée reçue que ces derniers sont des délinquants désespérément violents qui s'envoient à la gueule le premier objet qui leur tombe dans les mains.
Le comportement de Assia El Oudie tord le coup à ce dogme stigmatisant. Il suffit d'un brin de tendresse avec ces individus, de leur faire sentir qu'ils sont des êtres humains comme les autres, de savoir leur parler le langage du cœur pour qu'ils se montrent sous leur meilleur jour.
Ce sont les laissées-pour-compte de la société, pour la plupart emmurés, qui portent sur le visage les marques de leurs conditions. Issus tous des quartiers pauvres et difficiles, ils ont été condamnés pour des délits aussi divers que le vagabondage, le viol, le vol caractérisé, coups et blessures et trafic de drogue. Des drames sociaux qui broient des familles entières déjà aux prises avec un quotidien qui pèse des tonnes. La visite que le Souverain leur a rendue pendant le mois de Ramadan constitue pour ces prisonniers le meilleur remontant.
Enthousiastes, les heureux bénéficiaires de la grâce royale posent à l'entrée du centre pour une photo de famille.
Au-dessus de leurs têtes, un vol d'oiseaux, ailes battantes, se dirige quelque part. La liberté.
Une femme qui n'a pas vu son fils franchir le portail en fer accourt tout en pleurs vers «Mama Assia», ces mots à la bouche : Et mon pauvre fils, il restera là-bas, lui, ? Mme El Ouadie, regardant son interlocutrice droit dans les yeux, dit lentement d'une voix émue : «La prochaine fois, ton enfant sortira. Sidna ne l'oubliera pas».


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