Mustapha El Mrabet, président de l'Association des travailleurs et immigrés marocains en Espagne (ATIME), rejette la teneur du reportage de «La Razon». Il explique que son auteur s'est déguisée comme pour un «carnaval macabre». El Mrabet reconnaît toutefois que la peur habite aussi bien les Marocains que les Espagnols. ALM : Quel est votre sentiment sur le reportage paru dans La Razon ? Mustapha El Mrabet : La journaliste en question s'est promenée avec un voile sur la tête. Elle a cherché à provoquer des réactions de rejet, de xénophobie. Je suis persuadé qu'elle avait déjà trouvé 90% des éléments qu'elle a rapportés dans son article, avant même de se déguiser en marocaine. Et puis, «La Razon» est un journal de droite. Son président fondateur, Luis Maria Anson, est connu par ses positions incendiaires à l'égard du Maroc. Son journal a fait résonner les bruits des bottes et des tambours de guerre plus haut que tous les autres, à l'occasion de la crise de l'îlot Leïla. Cela signifie-t-il que la teneur de ce reportage est sans fondement ? Il est vrai qu'il existe des inquiétudes. Il est vrai que l'atmosphère est chargée d'inconnu. Mais pour le moment, nous n'avons enregistré aucun incident grave dans la communauté marocaine vivant en Espagne. Les journalistes espagnols qui m'appellent ne veulent pas me croire quand je leur répète que nous sommes inquiets, mais qu'il ne s'est pas produit d'incident majeur. Je ne sais pas ce qu'ils attendent de moi. Mais je ne vais tout de même pas leur dire que les Marocains n'ont pas encore été brûlés vifs ! Je ne vais tout de même pas souffler aux extrémistes des procédés pour apporter de l'eau au moulin de certains journaux ! Une certaine presse établit des liens entre tout ce qui est marocain et les attentats de Madrid. Expliquez-vous. Le verdict a été rendu cette semaine dans l'affaire d'Elejido où des travailleurs marocains ont été battus par certains Espagnols. Ces derniers ont écopé de peines allant jusqu'à 14 ans. Allez comprendre pourquoi certains journalistes espagnols veulent établir une corrélation entre des événements qui datent de l'an 2000 et ceux du 11 mars ! A vous entendre, on penserait que peu de choses ont changé depuis le 11 mars. Non ! Ce n'est pas cela ! En ma qualité de président de l'ATIME, je dois défendre les intérêts de la communauté marocaine. On ne peut pas céder à la panique, autrement c'est la débandade. Pour le moment, nous sommes soudés et réconfortés par des partis politiques et la société civile espagnols qui savent que la majorité écrasante des Marocains ne sont pas des terroristes. Cela dit, on ne peut pas cacher le soleil avec une passoire. Des Marocains sont interpellés tous les jours. On ne sait même plus quel est leur nombre exact : 16 ou 14 ? D'autres Marocains se sont donné la mort dans l'appartement de Leganes. D'autres encore menacent de perpétrer des attentats. Seul l'idiot peut dire que cette situation ne va rien changer. Comment réagit la communauté marocaine à cela ? Elle essaie de se comporter avec intelligence avec les événements, de ne pas provoquer des réactions de violence ou de rejet chez les Espagnols, de ne pas répondre aux provocations. Les jeunes Marocains ne prennent plus le métro avec des sacs à dos. Certains évitent les endroits à risque. Mais ce n'est pas facile, parce que la peur a pénétré dans des zones profondes. Inconsciemment, certains Espagnols opèrent un signe de recul lorsqu'un Marocain franchit la porte d'un train. Il faut du temps pour que les choses rentrent dans l'ordre. Et pour le moment ? L'atmosphère est électrifiée et j'espère qu'elle ne va pas s'intensifier au point d'exploser. Je suis confiant et convaincu que la tempête passera. Les Marocains sont encore plus terrorisés que les Espagnols. Ces derniers ne comprennent pas que les Marocains ont une triple peur : celle d'être victime d'un attentat terroriste, celle d'être pris pour cible par des Espagnols extrémistes et cette peur confuse qui pousse, par honte peut-être, à se terrer. Vous êtes en train de rejoindre la teneur du reportage paru dans «La Razon» Pas du tout ! Ce reportage est basé sur le témoignage d'une Espagnole qui s'est mise dans la peau d'une Marocaine. Elle s'est attifée comme pour un carnaval. Cela ressemble à du théâtre funèbre ou du folklore macabre. Alors que ce que je dis est issu d'appréhensions réelles et d'une vraie détermination à ne pas céder à la peur. Certes, personne ne peut nier l'existence d'un avant et d'un après 11 mars. Mais l'après 11 mars ne nous obligera pas à plier bagage. Et en cela, nous avons confiance en un Etat de droit, l'Espagne, qui nous garantit une vie paisible – exactement comme avant le 11 mars.