Ils souffrent tous de troubles mentaux, sont enchaînés, drogués et maltraités au nom de la «baraka» d'un saint mort il y a quatre siècles. Le ministère de la santé vient de se pencher sur la problématique des malades mentaux internés dans le mausolée Bouya Omar, dans la province de Kalâat Sraghna. En a découlé une étude, rendue publique hier, mercredi, sur le profil de ces malades, les conditions de leurs séjours et les mesures à entreprendre pour mettre fin à ce phénomène. Détails. Les oubliés du marabout Le ministère de la santé en a dénombré 711, dont la quasi-totalité sont des hommes. Seulement 19 femmes sont internées dans le marabout, soit près de 3%. Parmi les hôtes du saint, 87% sont célibataires, le reste étant marié ou divorcé. Ils sont représentatifs de l'ensemble des régions du Maroc, de Casablanca dont sont issus 154 internes à Oued Dahab représenté par un seul malade. Le département de Louardi a également exploré les raisons derrière l'internement de ces personnes. Les troubles comportementaux, particulièrement la schizophrénie, arrivent en tête de liste, avec 216 malades, soit 43% du total, suivis de la violence avec 187 malades (37%) et de l'addiction (13,5%). Paradoxalement, les différents types de drogues semblent être monnaie courante à Bouya Omar. Toujours selon la même source, en plus du tabac consommé par 88,5% des malades, le cannabis y est consommé par 54%, l'alcool par 42%, les psychotropes par 16%, la cocaïne par 5% et l'héroïne par 4%. Plus inquiétant encore, selon les données recueillies par le ministère, 70% de ces malades ne reçoivent aucun traitement, 24% d'entre eux ne sont jamais visités par leurs proches, 23% sont dans un mauvais état de santé et 19% portent des signes de maltraitance physique. Combattre l'occulte par la science Cette étude augurerait-elle du début de la fin de Bouya Omar? Déjà, en décembre 2013, alors que les médias nationaux relayaient des rumeurs de fermeture du centre, le ministre de la santé, El Houssaine Louardi, avait déclaré que cette décision n'était pas de son ressort. Plusieurs observateurs parlaient alors de raisons historiques, culturelles et même politiques derrière le maintien de ce culte. La situation aurait-elle changé? Il semblerait que non. Pour faire face aux atteintes flagrantes aux droits de l'Homme plusieurs fois décriées par la société civile et aujourd'hui constatées par un département gouvernemental, Louardi propose une série de mesures visant essentiellement le renforcement de l'offre en médecine psychiatrique dans la région, sans toutefois recommander la fermeture du marabout. Avec pour délais les deux années à venir, le ministère de la santé compte mettre en place un centre médico-social avec une capacité de 120 lits, censé garantir l'accueil, le traitement et la réinsertion des personnes souffrant de troubles mentaux, mais également des toxicomanes. Ce projet devra servir d'alternative au marabout pour les habitants de la région. Selon les estimations du ministère, sa construction et son équipement devraient nécessiter un budget total de 25 millions de dirhams, tandis que sa gestion nécessitera annuellement autour de 3,5 millions de dirhams. Le ministère compte, par ailleurs, organiser des campagnes de sensibilisation concernant aussi bien la santé mentale que les droits de l'Homme et ciblant l'opinion publique d'un côté, et les hébergeurs des malades d'un autre.
Le Maroc, un pays (presque) sans psychiatres Face à la popularité de Bouya Omar et d'autres pratiques de ce type, il faut dire que l'offre médicale en matière de psychiatrie reste extrêmement faible. Au Maroc, il n'y a pas plus de 0,83 psychiatres pour chaque 100.000 habitants. Pour le ministère de tutelle, ce chiffre fait, malgré tout, état d'une avancée puisqu'il n'était que de 0,63 en 2012. Le département de Louardi se fixe, ainsi, l'objectif d'atteindre 1 psychiatre pour 100.000 Marocains, sans toutefois se donner un délai pour y arriver. Le volet formation laisse, cependant, place à un brin d'optimisme. Il y a actuellement 80 médecins psychiatres en formation dans les Facultés de médecine du Royaume, en plus de 480 médecins généralistes bénéficiant de formations continues en psychiatrie. En ce qui concerne le personnel paramédical, l'objectif de former annuellement 100 infirmiers en psychiatrie que s'était tracé le ministère a été dépassé en 2013 avec 157 infirmiers qui ont obtenu leurs diplômes cette année-là. 35 malades au niveau universitaire Si l'on s'attend à ce que les malades de Bouya Omar soient en majorité sans éducation, l'étude du ministère de la santé révèle des résultats différents. En effet, 89% d'entre eux ont déjà été à l'école, tandis que 12% n'ont disposé d'aucune éducation et aucun n'est issu des écoles coraniques. Les 5% représentés dans le graphe ci-dessus font état d'une réalité amère : au moins 35 des personnes internées dans ce marabout avec l'espoir de les guérir de leurs «démons» ont un niveau universitaire. Prédominance des jeunes adultes Si l'analyse par genre des hôtes de Bouya Omar démontre une prédominance des hommes (voir page 4), l'étude des tranches d'âge fait, elle, ressortir une présence remarquée des jeunes adultes. Alors que les moins de 19 ans et les plus de 60 ans sont les moins représentés (respectivement 1 et 5%), la tranche d'âge entre 20 et 39 ans représente à elle seule 53% des patients du marabout. Le plan de Louardi sur 5 ans Outre la création d'un centre médico-social et l'organisation de campagnes de sensibilisation, le ministère de la santé prévoit des mesures à moyen et long termes. D'ici trois à cinq ans, des services d'hébergement familial devraient être mis en place et renforcés. Dans la pratique, il s'agit d'interner les malades dont l'état est stable dans des conditions familiales afin de garantir une prise en charge autant sur le plan sanitaire que social. Pour être effectif, ce service devra attendre la mise en place des cahiers des charges qui fixent les normes de qualité et d'outils de suivi pour garantir le respect de ces normes. Sur le long terme, le ministère prévoit, par ailleurs, de réformer le dahir de 1959 relatif à la prévention et au traitement des maladies psychiques et mentales, de mettre en place trois hôpitaux psychiatriques régionaux à Kenitra, Agadir et Kalâat Sraghna et enfin de créer des services de psychiatrie dans les hôpitaux de Khenifra, Khouribga, El Jadida et Azilal.