Une réforme en profondeur s'impose Depuis notre indépendance, la santé mentale a toujours posé un problème concernant sa prise en charge, le développement des infrastructures psychiatriques, les ressources humaines (médecins-infirmiers), les médicaments, sans oublier bien entendu le regard que porte notre société sur les malades atteints de troubles psychiques. Comment doit-on interpréter cette situation après tant d'années ? Comment accepter que la santé mentale puisse encore avoir du mal aujourd'hui à trouver sa place ? La réponse apportée à ces problèmes est en demi-teinte, ne satisfait pas totalement et peut-être faut- il en conclure que la raison principale réside dans les choix qui sont opérés pour décider de ce qui est urgent, prioritaire ou pas et que parallèlement aussi il y a une concentration des moyens et des ressources sur d'autres maladies, notamment le VIH/sida, la tuberculose, le cancer, la vaccination, les médicaments... Pour bien comprendre et mesurer à sa juste valeur la problématique de la maladie mentale dans notre pays, il est utile de se reporter à l'enquête réalisée en 2008 par le ministère de la Santé en partenariat avec l'OMS. En premier lieu, nous apprenons que les troubles mentaux peuvent toucher toutes les catégories de notre population, donc nous sommes tous concernés et il n'est pas rare qu'un jour ou l'autre on puisse souffrir ou présenter un trouble mental. Concernant les chiffres de cette enquête, il ressort que 48,9% des personnes interrogées présentent des signes de troubles mentaux allant du simple trouble obsessionnel à des pathologies plus graves comme les psychoses. La prévalence des troubles mentaux au sein de notre population est estimée entre 5 à 6%, Ces troubles mentaux sont répartis comme suit : Il y a les troubles mentaux sévères, 2% de Marocains, soit 600.000 individus en souffrent, dont 1% est atteint de schizophrénie et 1% de trouble bipolaire ou maniaco-dépression, et 26,6% souffrent de dépression, pratiquement le quart de la population. Ces chiffres viennent renforcer une réalité ordinaire que nous observons tous au quotidien. Il suffit de voir le nombre de personnes qui déambulent sur les boulevards ou ailleurs pour s'en rendre compte. A côté, il y a toutes les attitudes anormales, telles les comportements suicidaires qui sont de plus en plus nombreux surtout parmi les jeunes. La toxicomanie mine notre jeunesse, en plus de l'abus d'alcool. Le nombre des débits de boissons alcoolisées et de bars est ahurissant, sans oublier les psychotropes, l'héroïne, la cocaïne, le karkoubi, le kif, le diluant et autres poisons qui font en sorte de consolider les souffrances et les pressions que les jeunes sont en train de supporter. Une offre de soins en deçà des besoins Au niveau de l'offre de soins, le nombre des psychiatres avoisine les 350, soit un praticien pour 100.000 habitants, au moment où nos besoins en praticiens sont estimés a 3.000, le nombre de lits est insuffisant et ne dépasse pas les 2.000 unités. Si on prend l'exemple d'une grande ville comme Casablanca qui compte presque 6 millions d'habitants, il y a près de 240 lits pour des milliers de malades, alors que les normes préconisées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) dans ce cas précis sont de 600 lits Il ne faut pas aussi se leurrer, on ne pourra jamais prétendre avec ces moyens à des soins pour tous les malades mentaux et encore moins à des soins de qualité. La pratique de la médecine nécessite des femmes et des hommes dotés des moyens suffisants, mais avec autant de carences en matière de personnels et d'infrastructures, il est difficile d'imaginer une prise en charge sérieuse des malades mentaux au Maroc, du moins pour le moment. En attendant, nombreux sont les citoyens qui, faute de ne pas pouvoir bénéficier d'une prise en charge digne de ce nom, s'en remettent aux charlatans (les fkih) ou le maraboutisme (Bouya Omar ..) qui font recette grâce à l'incrédulité et l'ignorance des familles et des malades qui n'hésitent pas à se faire exorciser et gaspiller en même temps un argent fou sans résultat. Et quand cette médecine parallèle échoue, on dira que le mal qui l'habite est plus fort et qu'il faudra aller voir ailleurs... Une lueur d'espoir commence à pointer grâce à la nouvelle stratégie décidée par le ministre de la Santé, le professeur Louardi, qui compte bien remédier aux lacunes grâce notamment au renforcement de l'offre de soins psychiatriques avec la création de 3 hôpitaux régionaux (Kénitra, Agadir et El Kelâa) et 3 services intégrés de psychiatrie (El Jadida, Khouribga, Khenifra), 5 nouveaux centres d'addictologie verront le jour (Oujda, Tétouan, Agadir, Kénitra et Tanger). Les choses s'annoncent sous de meilleurs auspices et il est permis de penser que dans les années à venir, le Maroc pourra rattraper le retard que nous avons cumulé dans la prise en charge de la maladie mentale