C'est un grand classique de la littérature arabe qui est réédité en ce mois de janvier 2015 chez Actes Sud. Le chef d'œuvre du prix Nobel égyptien, Naguib Mahfouz, revenait avec ironie sur l'histoire de l'Egypte et d'un certain monde arabe en quatre voix dissonantes. Tout part de la pièce de théâtre à scandale de Abbas Karam. Ce dernier est un dramaturge cairote qui rêve d'une grande carrière littéraire. Pour y arriver il se donne les moyens. D'abord créer un tollé avec une pièce au vitriol. Il décide donc de raconter la genèse de sa famille sans concessions. Sans pathos. Encore moins un désir enfoui d'enjoliver. Nous sommes donc face à quatre personnages qui, chacun à son tour, raconte sa version de l'histoire. Il y a l'acteur principal, qui est très amoureux de la femme de l'auteur. Son récit vacille entre amour et accusation sur fond de police et de délation. Il y a le père d'Abbas. C'est un metteur en scène toxicomane. Il est aussi corrompu et sans morale. Il y a aussi la mère, qui est caissière du théâtre. Elle passe la sainte journée à se morfondre sur sa misérable vie et ses vicissitudes. Enfin, il y a celui qui mène le bal, l'auteur. Rêveur, idéaliste d'une grande sensibilité, il tente par tous les moyens de faire le solde de tout compte de son passé. Il revient en long et en large sur tout ce qu'il a vécu et force les traits parfois, pour ne rien laisser au hasard. Il a des comptes à régler et il n'y va pas de main morte. Pour lui, ce retour dans le passé est une manière comme une autre de se créer un avenir, sans les douleurs accumulées, sans les frustrations, les non-dits et surtout sans cette absurdité qui marque toute la vie de son horrible empreinte. On s'en souvient déjà quand ce roman est paru en 1981, Naguib Mahfouz y avait laissé voir toute sa finesse de conteur, mais surtout sa capacité à expérimenter de nouvelles techniques narratives en jouant sur plusieurs tableaux, donnant la parole à plusieurs personnages, dans un récit parfois déroutant. Mais c'est surtout le côté visionnaire de Naguib Mahfouz qui frappe le plus fort. Le prix Nobel avait déjà dénoncé les dérives sociales et politiques de son pays, mais au-delà, toutes celles d'un monde arabe aux abois, ne sachant pas où donner de la tête. C'est cette force annonciatrice du mal qui finit toujours par frapper qui fait de l'œuvre de Naguib Mahfouz une grande référence pour comprendre les soubassements des sociétés arabes, toutes cultures confondues, avec leurs ratages, leurs héritages, leurs désillusions… Editions Actes Sud. 180 DH