Mustapha El Khalfi, ministre de la communication, explique à ALM où en est le nouveau code de la presse et les discussions avec le SNPM et la FMEJ. Il revient aussi sur les nouveautés de ce code tant attendu et notamment les peines privatives des libertés qui n'ont plus droit de cité. ALM : Où en êtes-vous pour ce qui est de l'élaboration du projet de Code de la presse?
Mustapha El Khalfi : Le projet de Code de la presse a été remis en juillet dernier aux professionnels des médias et à un certain nombre d'institutions nationales pour avis et propositions. Et au cours du mois courant nous allons recevoir et traiter les différentes observations avant d'ouvrir un débat public à propos des trois projets constituant le Code global sur la presse et l'édition, à savoir le projet de Code de la presse, le projet de Statut des journalistes professionnels et le projet de loi sur le Conseil national de la presse.
Qu'en est-il du dialogue avec le syndicat et la FMEJ ? La Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ) et le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) constituent des partenaires dans le processus de réforme du cadre juridique régissant le secteur de la presse au Maroc. Je profite de cette question pour mettre l'accent sur l'approche participative et de concertation assez large qui a présidé à l'élaboration des projets de loi. Dans un premier temps, une commission scientifique consultative a été chargée d'élaborer des observations et propositions d'amendements au sujet des projets de loi qui lui ont été soumis. Elle était chapeautée par M. Larbi Messari, à qui nous rendons un grand hommage, et composée de personnalités de différentes sensibilités, représentant la majorité et l'opposition parlementaires, les professionnels des médias éditeurs et journalistes, les départements ministériels concernés, les ONG de défense des droits de l'Homme et des académiciens. Quel a été le résultat du travail de cette commission? Celle-ci a mis au point plus de 100 observations et projets d'amendement concernant des projets de textes juridiques qui lui ont été soumis. Par la suite, une commission interministérielle a été chargée d'introduire les conclusions de la commission scientifique consultative dans des projets de loi. Dans le cadre de cette étape, on a approfondi les questions aussi diverses que la protection du secret des sources des journalistes, la diffamation, le mécanisme de l'autorégulation, le modèle économique de l'entreprise de presse, la publicité dans la presse, l'impression et la distribution. Par la suite, un autre travail de consultations juridiques a été fait auprès des ministères de l'intérieur, de la justice et des libertés et le Secrétariat général du gouvernement. On saisit d'ailleurs l'occasion pour remercier tous les cadres et magistrats relevant de ces ministères qui ont contribué à l'élaboration de ces projets de loi sur la presse. Ces projets, une fois finalisés, ont été remis aux professionnels, la FMEJ, le SNPM, en plus de la FMM et à des institutions nationales, notamment le CNDH, le Conseil de la concurrence et le Conseil économique, social et environnementalpour avis.
Quelles sont les remarques et les propositions des professionnels? Les remarques et propositions de modification élaborées par les différents partenaires ont été, dans la majorité, constructives, précises et reflétant une volonté forte et commune de promouvoir le secteur de la presse. On cite par exemple le renforcement de l'indépendance des journalistes et des entreprises de presse, la promotion de l'équité dans les affaires liées à la presse, le renforcement de la liberté d'expression, la protection du secret des sources des journalistes, la suppression des peines privatives de liberté, la reconnaissance juridique au profit de la presse électronique, le renforcement de la crédibilité de la profession à travers la réglementation de l'accès à la profession et la réforme des dispositions relatives à la diffamation. A noter dans ce cadre que pratiquement toutes les remarques des éditeurs à propos des projets sur le Conseil national de la presse et le Statut des journalistes professionnels ont été acceptées et introduites, en attendant les remarques sur le Code de la presse. Nous sommes fiers du fait que les éditeurs soient partenaires essentiels dans cette réforme.
Quels sont vos arguments pour les convaincre ? La majorité des propositions a été introduite, comme il y a eu un débat constructif au sujet de quelques propositions rejetées, en ayant recours, par exemple, aux pratiques internationales les plus développées pour rapprocher les points de vue. La démarche participative très large adoptée, et qui a donné quelquefois l'impression que l'adoption des nouvelles lois accusait du retard, reflète un attachement du gouvernement à ce que les projets de loi intègrent les aspirations, les engagements, les nouveautés et les contraintes exprimées par les différents acteurs, partenaires et départements. Car en définitive, les professionnels des médias sont les premiers concernés par cette réforme et par sa mise en œuvre après l'adoption.
Quels sont les défis que vous avez tenu à relever dans le cadre de cette réforme ? Il était question de relever cinq principaux défis : Assurer la mise en œuvre des dispositions de la nouvelle Constitution, honorer les engagements internationaux du Maroc, s'adapter et anticiper les développements technologiques, développer des réponses efficaces à la crise qui ébranle le modèle économique de l'entreprise de presse et satisfaire aux demandes et revendications des journalistes et l'ensemble des ressources humaines travaillant dans le domaine du journalisme. Peut-on dire aujourd'hui que le Code de la presse est prêt pour faire face à la difficile réalité du terrain, sachant qu'il devrait entrer en vigueur fin 2014 ? Je pense que les projets de loi élaborés en concertation avec les professionnels, les institutions et départements concernés, ont pris largement en considération la réalité de la pratique. Les grandes nouveautés apportées par le projet de réforme du cadre juridique ne constituent sûrement pas des vœux pieux. La réforme est née d'un besoin concret et pressant. Il s'agit d'adapter les lois sur la presse et l'édition à l'avancée démocratique et réelle réalisée grâce à la nouvelle Constitution. Le Code actuel contenant 24 articles prévoyant des peines privatives de liberté n'est plus compatible avec le progrès démocratique que traverse le pays. Il s'agit également d'adapter notre arsenal aux réalités du 21ème siècle, étant donné que le cadre actuel méconnaît complètement les progrès technologiques géants que connaît le champ médiatique à l'échelle mondiale.
Y a-t-il des nouveautés dans le Code ? La principale nouveauté que contient le projet de Code de la presse c'est la suppression complète des peines privatives de liberté. Le Code actuel contient 24 dispositions prévoyant des peines privatives de liberté. En procédant à la suppression de ces peines dans le projet actuel, nous nous conformons aux dispositions de la nouvelle Constitution, nous respectons les engagements internationaux, étant donné que le Maroc s'était engagé devant le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU à supprimer ces peines, et nous répondons favorablement à l'une des principales revendications des professionnels du journalisme et des ONG de défense des droits de l'Homme. Mieux encore, le projet revoit les dispositions juridiques et les peines relatives à la diffamation et à l'injure. Le projet de réforme prévoit également la mise en place d'un mécanisme indépendant pour l'autorégulation, à savoir le Conseil national de la presse et la protection du secret des sources des journalistes.
Le projet prévoit-il une limitation des prérogatives dont bénéficie jusque-là l'administration ? Concrètement, le projet va au-delà de la limitation. Il prévoit le transfert pur et simple d'un ensemble de prérogatives de l'administration vers la justice. Le projet lui attribue en exclusivité la prérogative de décider de la fermeture d'un journal ou d'un site d'information électronique, ou la non autorisation de distribution d'une publication étrangère. En outre, le projet de loi sur le Conseil national de la presse prévoit que l'octroi de la carte de presse et l'arbitrage dans les affaires liées à la presse seront désormais du ressort du Conseil national de la presse. Ces mesures ont pour effet de renforcer la protection de l'entreprise de presse. Parmi les nouveautés on trouve également la garantie du droit d'accès aux sources de l'information et à l'information au profit des journalistes, la consécration du principe d'encouragement par l'Etat de la promotion du pluralisme dans les médias et la détermination avec précision des diverses responsabilités dans les domaines de la presse et de l'édition, en plus de l'établissement de précisions terminologiques relatives aux domaines de la presse, la presse électronique, la publication, l'impression, la distribution et la publicité. Le projet prévoit, en outre, la consécration de la garantie de la liberté de la presse, en application de l'article 28 de la Constitution, et qu'elle ne peut être limitée par aucune forme de censure préalable. Est également garantie la liberté d'édition, d'impression et de distribution. En plus, le projet stipule que les tribunaux ne sont pas habilités à refuser la réception de la déclaration pour la création d'un journal ou d'un site d'information électronique sauf en cas de non satisfaction aux conditions définies par le projet de Code de la presse. La reconnaissance juridique au profit de la presse électronique est l'une des principales revendications des professionnels de ce secteur. Que prévoit le projet de Code dans ce sens? Le projet de Code de la presse garantit la reconnaissance juridique au profit de la presse électronique. En plus, les sites d'information électronique pourront désormais bénéficier de mesures incitatives et d'aide publique réservée au secteur, à l'image de l'aide réservée à la presse écrite sur support papier. A noter dans ce cadre, que le ministère de la justice et des libertés a publié en avril 2013 une circulaire adressée aux Parquets généraux relative à l'acceptation des demandes de déclarations pour la création de sites électroniques d'information, ce qui constitue une reconnaissance juridique au profit de la presse électronique. En vertu de cette circulaire, près de trente déclarations de création de sites d'informationsont été déposées auprès des services compétents du ministère de la communication et quarante journalistes relevant de ces sites ont pour la première fois reçu des cartes de presse portant le nom de leur site.
Le cas de la prison ? Comme je l'avais dis, le projet de Code ne prévoit plus de peines privatives de liberté. Il s'agit d'une avancée considérable en matière de promotion de la liberté de la presse et de protection des journalistes. Ces derniers ne seront plus exposés au risque d'encourir la prison dans le cadre de l'exercice de leur mission. Notre conviction profonde c'est qu'une presse libre, responsable et honnête est essentielle dans toute société démocratique, et qu'elle doit jouir de ce fait des garanties suffisantes pour sa protection. A noter par ailleurs que la suppression des peines privatives de liberté ne vient que consacrer la pratique, étant donné qu'au cours des deux dernières années, les affaires en justice impliquant des journalistes sont en baisse remarquable, aucun jugement définitif d'emprisonnement n'a été prononcé contre un journaliste et les amendes et indemnités sont modérées.
Est-ce qu'il y a des lignes rouges à ne pas franchir? Si vous entendez par «lignes rouges» le respect des constantes de la Nation, le texte constitutionnel, à propos duquel les Marocains sont unanimes, les a définies en toute clarté. Certes, en cas d'erreur professionnelle dans le cadre de l'exercice de la profession, des poursuites pourraient être déclenchées à l'encontre des journalistes bien évidemment sur la base des dispositions du Code de la presse, qui sera débarrassé des peines privatives des libertés. Mais, la Constitution prévoit également le principe fondamental de l'égalité de tous les citoyens devant la loi. Notre référence en la matière est l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui prévoit que les restrictions doivent être expressément fixées par la loi. A noter que dans la pratique internationale, font également partie de ce que vous appelez «lignes rouges» l'atteinte à la vie privée des personnes, la discrimination et l'incitation à la violence, entre autres.
Voici trois ans que vous êtes ministre. Pensez-vous que vous avancez à la bonne vitesse ? Il s'agit d'avancer à la bonne vitesse certes, mais sans précipitation. Ce qui a été réalisé jusque-là est honorable et positif, notamment dans les domaines de la réforme des lois sur la presse, la promotion des conditions d'exercice du journalisme, l'amélioration de l'aide publique à la presse et bien d'autres. L'essentiel c'est de faire aboutir et de réussir des projets de réformes durables et fructueux en concertation avec les partenaires. Pour le reste de votre mandat, quelle promesse pouvez-vous faire aux journalistes ? Le chantier principal, à mon avis, c'est la réussite de la réforme des lois sur la presse en mettant en place un Code global. Cette réforme faite par les journalistes et pour eux, aura certes un impact considérable sur la promotion des conditions d'exercice du journalisme dans notre pays. Mais il n'y a pas que cela. Il sera question également de développer les projets de formation et de formation continue au profit des journalistes en vue de développer leurs capacités professionnelles et promouvoir leur créativité. Sont également à l'ordre du jour des projets pour la promotion des conditions sociales des journalistes à travers notamment la mise en place d'une institution d'œuvres sociales à leur profit.