ALM : SOS Village d'enfants atteindra bientôt sa trentième année au Maroc. Comment évaluez-vous cette action ? Béatrice Beloubad : C'est tout un parcours. L'aventure a démarré d'Ait Ourir. Il n' a pas été toujours facile pour nous de trouver les mamans SOS et de faire vivre cette idée qui est venue d'ailleurs. Comme tout début, nous avons rencontré beaucoup de difficultés. Grâce à l'engagement des premières équipes nous avons pu asseoir ce concept. Suivront donc les villages d'Imzouren, de Dar Bouazza, d'El Jadida et d'Agadir. Ces deux derniers villages ont été implantés dans des zones urbaines pour mieux faciliter l'intégration des enfants dans leur société et de bénéficier amplement des opportunités qu'offre une ville. En quoi consiste votre action ? En tant qu'association nous œuvrons à offrir aux enfants SOS une éducation de qualité pour favoriser leur insertion sociale dans l'avenir. En parallèle, nous consentons beaucoup d'efforts pour trouver les traces des familles biologiques. C'est très important qu'un enfant connaisse d'où il vient et de trouver des réponses à ses questions. Pour ce faire, nous collaborons avec les tribunaux. C'est un long processus qui peut prendre jusqu'à 3 ans de suivi. Nous nous réjouissons d'avoir placé certains enfants mais l'enjeu étant de savoir si ce placement est dans leur intérêt. Quand on voit que la famille n'est pas assez structurée pour l'accueillir, nous gardons l'enfant tout en respectant le lien qui se crée avec sa famille. Ainsi, s'il n'y a pas d'intégration réelle, l'enfant peut passer quelques séjours au sein de sa famille. Et en cas d'absence de famille biologique ? La meilleure solution de remplacement est de trouver une famille kafil. Toutefois , le concept de la Kafala n'est pas suffisamment assimilé dans notre société. C'est pourquoi nous sensibilisons en permanence autour de la Kafala afin de mobiliser le législateur à faire valoir cette idée qui s'avère bénéfique pour les enfants en besoin. Quel est le parcours d'un enfant SOS ? Généralement, l'enfant SOS arrive chez nous à l'âge de 4-5 ans et il y reste jusqu'à la fin de ses études au collège. Après, il est admis dans un lycée interne tout en revenant au village à chaque vacances. L'année du baccalauréat est une étape décisive. Nous établissons avec le bachelier un contrat de projet personnel pour fixer avec lui ses objectifs à court terme (à savoir études de deuxième cycle, parcours professionnel et stages). Une fois ce cap passé, l'enfant est autonome et pourra facilement se faire une place dans la société. Décrivez-nous le quotidien d'une famille SOS ? Le quotidien d'une famille SOS est identique à celui de toute famille marocaine. Nos familles affrontent les mêmes défis. Il n'y a pas de traitement particulier pour nos enfants. Ils vont à l'école avec leurs pairs. Ils prennent le bus comme tous les citoyens. Ils entament les démarches administratives eux-mêmes pour la carte d'identité ou l'inscription scolaire, etc. Le Village SOS est un «microcosme» dans cette grande société qu'est le Maroc. Ce qui existe dehors existe chez nous. Nous accomplissons la mission de parents engagés, conscients de toutes les mutations du pays. Ces enfants sont l'avenir du Maroc. Il faut que nous ayons une vision plus lointaine pour assurer leur ascension professionnelle et personnelle. Comment gérez-vous les problèmes que rencontrent ces enfants, notamment la crise d'identité et d'adolescence ? Nous avons un suivi de santé très rigoureux. Nos enfants sont accompagnés d'un psychiatre. De même, les mamans sont constamment à leur écoute. Nos mamans font un travail extraordinaire. Imaginez, elles se retrouvent à éduquer 8 enfants dont chacun cache une histoire difficile. Il faut qu'elles fassent de ces enfants des frères et sœurs pour vivre ensemble. Ces mamans peuvent aussi un jour perdre patience. Comme on est une famille nombreuse, plusieurs incidents peuvent se produire. C'est dans ce sens que nous avons mis à la disposition des enfants SOS un collectif de protection de l'enfance pour signaler les maltraitances, que cela soit à travers une boîte aux lettres, une ligne téléphonique ou un mail. Comment réagissez-vous dans ce cas ? Cela dépend de la gravité des cas. On commence par une enquête. Ensuite nous nous basons sur les rapports du comité d'écoute. En fonction des conclusions, on prend une décision. La sanction peut aller d'un accompagnement de la mère jusqu'au licenciement et voire une poursuite judiciaire. Heureusement que nous n'avons eu recours à la justice qu'une seule et unique fois. Ce qui est sûr on ne se tait pas face aux préjudices portés à nos enfants. La crise économique qui sévit en Europe menace-t-elle la pérennité des Villages SOS ? Elle ne la menacera pas si nos responsables se mobilisent pour que l'action continue. Malgré les difficultés de financement, je vous assure que nous sommes engagés pour que ce modèle qui a fait ses preuves continue à soutenir les enfants du Maroc. Le Royaume a un énorme potentiel et SOS Village d'enfants Maroc est le meilleur village de tout le panorama régional. Quelles sont vos recommandations dans ce sens ? Un enfant SOS est avant tout un citoyen marocain. L'Etat est responsable de son avenir. Notre plaidoyer est le suivant : l'Etat est appelé à nous donner un budget de fonctionnement minimum pour assurer les besoins essentiels de l'enfant, à savoir 1000DH par enfant mensuellement. Si l'Etat se charge de ce volet, l'association SOS se penchera plus sur la qualité. Ceci nous permettra de travailler davantage à développer des projets en faveur des enfants. En cette période de notre existence, nous restons très optimistes. Ceci est animé par la décision prise par le gouvernement lors des premières Assises de l'enfant. Il s'agit de mettre en place une politique intégrée de protection de l'enfance. Je pense que c'est un signe très fort pour militer contre l'abandon et rétablir la situation des enfants nécessiteux. Combien coûte une maison SOS ? Nous avons des prix journée. On donne chaque début de mois un budget aux mamans qu'elles gèrent à leur façon. Bien qu'elles soient autonomes dans leur gestion, il y a un suivi rigoureux de notre part pour voir comment cet argent est investi. Si l'on prend en compte les besoins essentiels de l'enfant (alimentation, habillement et soins), le budget d'une famille SOS est de 12.000 dirhams par mois. Cela reste raisonnable comme fonds sachant que chaque maman a 8 enfants à sa charge. Quels sont les critères de recrutement d'une maman SOS ? Tout d'abord la maman doit avoir plus de 35 ans et au minimum un niveau Bac. Pour élever 8 enfants à la fois, il faut vraiment une sacrée énergie et surtout beaucoup d'investissement personnel. Ainsi, la maman SOS ne doit pas avoir des engagements familiaux propres. Nous nous chargeons par la suite de leur formation. Chaque année, nous organisons des formations continues pour les mamans pour parler des problèmes liés à l'adolescence et à l'orientation de l'enfant. On fait par la suite des évaluations régulières pour faire le point sur les difficultés qu'elles rencontrent.