A l'heure où les grands blocs économiques se renforcent à travers le monde, le Maghreb, lui, continue de marcher à contre-courant. Lors du dernier forum de l'entrepreneuriat maghrébin qui s'est tenu à Marrakech à la mi-février, les participants étaient tous unanimes sur l'état des lieux : le taux d'intégration des cinq économies du Maghreb est parmi les plus faibles au monde. Et parmi les chiffres qui ont été les plus mis en exergue, un seul suffit pour démontrer cette faiblesse : les échanges entre les cinq représentent à peine 3% du volume global de leurs échanges commerciaux. Un chiffre qu'il faut comparer à ceux d'autres régions comme l'Amérique du Sud où les pays du Mercosur dépassent les 30%, ceux d'Amérique du Nord (Nafta) qui avoisinent les 60% et même les pays de l'Afrique de l'Ouest qui affichent un respectable 15%. Si lors de la première matinée du forum, consacrée à des séances plénières, les différents orateurs qui se sont succédé ont essayé de dresser les élements du diagnostic général et de donner quelques pistes de réflexion, les travaux en ateliers, consacrés à des thématiques plus précises et des secteurs, ont permis aux participants d'aller plus dans le détail et de toucher de manière plus concrète les freins qui entravent l'intégration des économies du Maghreb. Et l'un des aspects où cette «désintégration» est la plus palpable est incontestablement le domaine douanier. A ce titre, le directeur général de l'administration des douanes et impôts indirects, Zouhair Chorfi, a brossé un tableau qui résume parfaitement la situation. Dans une intervention bien documentée et appuyée par des chiffres, M. Chorfi a clairement mis le doigt sur les problèmes qui empêchent aujourd'hui les cinq pays du Maghreb de développer leurs échanges. Pour commencer, une multitude de régimes, de statuts et d'accords qui font, par exemple, qu'une même marchandise marocaine expédiée en Tunisie ou en Algérie peut être taxée différemment selon le régime et le cadre dans lequel on se place. En fait, cela est laissé à la discrétion des administrations des douanes de part et d'autre qui peuvent décider du régime sachant qu'il ne pourra pas être contesté. Ainsi, pour ce qui est de la Tunisie, il faut savoir qu'aujourd'hui 3 accords nous lient avec elle : l'accord conclu dans le cadre de la Ligue arabe en 1981, l'accord de libre-échange bilatéral signé en 1999 et, enfin, l'accord d'Agadir signé en 2004. Avec tous ces accords, il faut croire que 35% des importations du Maroc en provenance de la Tunisie le sont sous le régime de l'accord bilatéral, tandis que 30% sont régis par l'accord d'Agadir (QUAD) alors que seulement 2% entrent dans le cadre de l'accord de la Ligue arabe. Le reste, environ 33% des importations, n'obéit à aucun régime préférentiel. Pour les cas de l'Algérie et de la Libye, avec lesquelles le Maroc est lié, en plus de l'accord de la Ligue arabe, par des accords commerciaux et tarifaires bilatéraux, la situation n'est guère différente. La part de nos importations qui bénéficient de régimes préférentiels est de 63% pour le cas de l'Algérie et 54% à peine pour le cas de la Libye. Ce qui est étonnant, par ailleurs, c'est que malgré cette forêt d'accords qui engendrent la confusion la plus totale dans l'esprit des opérateurs, les pays du Maghreb se trouvent également embarqués dans un processus de construction d'une Union douanière arabe qui devrait voir le jour en 2015. Ce qui ne manque pas d'interpeller le patron de la douane marocaine, Zouhair Chorfi, qui semble se demander comment feront les pays du Maghreb, déjà emmêlés aujourd'hui, pour gérer un dispositif supplémentaire. En fait, et comme il le reconnaît lui-même, la construction douanière du Maghreb a pris trop de retard pour ne pas dire qu'elle est restée presque sur papier. La preuve, alors que l'accord de l'UMA a été ratifié en 1989, il a fallu attendre 2010 pour voir apparaître pour la première fois un projet de convention portant sur la création d'un conseil de coopération douanière maghrébin qui est, à ce jour encore, au stade de projet bien qu'il ait été adopté par les ministres des finances des cinq pays. Selon M. Chorfi, la concrétisation dans les faits de ce conseil fait partie des chantiers en cours au même titre, d'ailleurs, que le projet d'une zone de libre-échange maghrébine qui n'est pas près de voir le jour même si, selon M. Chorfi, certains volets sont déjà finalisés comme les protocoles de règlement des différends, les règles d'origines ou encore les listes de produits candidats aux régimes préférentiels. Mais quand bien même les experts de part et d'autres seraient avancés dans leurs travaux, il resterait le plus important, à savoir l'acte et la volonté politiques. Et cela n'est visiblement pas pour les mois à venir…