La nuit est bien avancée. Je ne trouve pas le sommeil. Je n'insiste pas. Je quitte mon lit et me dirige vers mon bureau. Une surprise m'y attend. Au moment où je tends la main vers l'interrupteur de lumière, je constate que mon ordinateur rayonne d'un halo vert qui irise la pièce. Mon extraterrestre me rendrait-il visite de nouveau ? Je m'avance vers l'écran. Mon extraterrestre est bien là. Serait-ce lui qui m'a empêché de dormir et m'a incité à me diriger vers mon ordinateur ? A-t-il cette capacité d'influer sur mon comportement, me réveiller en pleine nuit et m'amener à entrer en contact avec lui ? – Que le salut soit avec toi, terrien. – C'est toi qui m'as réveillé…, pianoté-je sur mon clavier. – Je t'avais promis de te revenir après notre dernière conversation. Cela remonte à très loin. Il me rafraichît la mémoire : – Le 12 juin 2013, tu m'avais demandé à quoi ressemble la vie chez nous. J'avais répondu que ce concept n'existe pas chez nous, et t'avais promis de te revenir dès que des éléments de notre dernière conversation seraient traités par notre cyber-analyste. En attendant, tu m'avais demandé quel était l'équivalent du concept de la vie chez nous. Tout est planifié et prévu t'avais-je dit. Tu suis un programme qui te gouverne sans poser de questions. Ce qui n'a pas eu l'heur de te plaire. Tu as considéré que notre vie serait aussi ennuyeuse que la ligne plate d'un oscilloscope. – Est-ce pour ça que tu m'as réveillé ? dis-je passablement irrité. Et que dit votre cyber-analyste ? Mais à qui ai-je donc affaire ? Un robot ? Une intelligence supérieure ? – Depuis le temps que nous vous étudions, nous avons relevé plusieurs données inquiétantes. – Eh bien, vous n'êtes pas les seuls à vous inquiéter, dis-je ironiquement. – D'abord, vous êtes une espèce de nature belliqueuse. Votre histoire est parsemée de guerres et de conflits. Et ça ne semble pas devoir cesser dans un avenir prévisible. – Il faut bien se défendre parfois, rétorqué-je un brin provocateur. – Pas au point de décimer les civils, les faibles, les femmes, les enfants, les populations désarmées. Votre espèce est la seule qui s'acharne sur un adversaire tombé par terre jusqu'à ce que mort s'ensuive. – C'est notre côté humaniste, laissé-tomber d'un ton sarcastique. – Ensuite, à ce jour, vous ne savez pas toujours comment gérer vos affaires communes, ni à qui confier cette gestion. Démocratique, dictatorial, autocratique, présidentiel, parlementaire, populiste, théocratique, élitiste, quel que soit le pays, aucun régime ne vous a donné satisfaction. Depuis des millénaires que vous existez, vous n'avez pas trouvé de système de gouvernance politique convenable. – C'est ce qui donne tout son sens à la quête humaine du bonheur, dis-je plus pour me convaincre que pour argumenter avec mon visiteur de nuit. – Pire, vos hommes politiques, depuis la nuit des temps, vous ont conduits à une impasse. Juge par toi-même. Plus d'un milliard parmi vous vivent avec moins d'un dollar par jour. 448 millions de vos enfants souffrent d'insuffisance pondérale. 20% parmi vous détiennent 90% des richesses. Un enfant sur cinq n'a pas accès à l'éducation primaire. 80% des réfugiés sont des femmes et des enfants. Les femmes gagnent 25% de moins que les hommes à compétence égale. 876 millions d'adultes sont analphabètes, dont deux-tiers sont des femmes. Chaque jour, 30.000 enfants de moins de cinq ans meurent de maladies qui peuvent être évitées. Dans les pays en développement, un enfant sur dix n'atteindra pas l'âge de cinq ans. 500.000 femmes meurent chaque année durant leur grossesse ou en couche. 42 millions de personnes vivent avec le virus du SIDA, dont 39 millions dans des pays en développement. Le VIH/sida est la principale cause de décès en Afrique subsaharienne. À ce rythme, à l'horizon 2020, certains pays africains pourraient perdre plus d'un quart de leur population active. Plus d'un milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau salubre. En Afrique subsaharienne, près de la moitié de la population n'a pas accès à l'eau potable. 2,4 milliards de personnes sont privées d'installations sanitaires décentes. 2,8 milliards de personnes, soit près de la moitié de la population mondiale, vivent avec moins de 2 dollars par jour. Ce sont vos statistiques. – Oh, on a appris à vivre avec, dis-je sans trop croire en ma dérision. – Enfin, vos appétits ataviques de conquête insatiable, conjugués avec le développement de vos connaissances scientifiques et de votre maîtrise des phénomènes de l'univers, vous conduiront fatalement à une collision frontale avec les civilisations pacifiques qui vivent sur différentes planètes. – Voilà qui commence à devenir intéressant ! dis-je avec excitation. Et qu'allez-vous faire ? – Le Conseil Supérieur des Civilisations a déjà arrêté sa décision. – Le Conseil de quoi ? – C'est l'organe suprême où sont représentées toutes les civilisations avancées de l'Univers. Il a décidé d'en finir avec votre planète lorsque vous deviendrez dangereux pour la paix dans le cosmos. – Tu veux dire… nous faire disparaître ? – Le Conseil n'en arrivera probablement pas là. Quels que soient vos progrès scientifiques futurs, d'ici là, deux cas de figure se présenteront. Soit vous poursuivrez vos guerres jusqu'à vous exterminer entre vous. Et là, vous avez de quoi pulvériser plusieurs centaines de fois votre planète. Soit vous vous épuiserez seuls. Vous êtes en ce moment la seule planète qui consomme plus qu'elle ne renouvelle son stock de ressources naturelles. – C'est pour m'annoncer ces réjouissantes prévisions que tu m'as réveillé ce soir ? Et vous pensez que vous avez tout juste ? Détrompez-vous. C'est vrai que l'Homme est capable du pire ! Mais, retiens ce que je vais te dire. L'humanité vous surprendra. Elle est aussi capable du meilleur, surtout lorsqu'elle est au bord du précipice. Bon, si tu le permets, je vais retourner à mon lit. Cette conversation m'a au moins donné envie de dormir.