Le président de la Chambre des députés a vivement pris à partie le chef de gouvernement, jeudi à Rabat, à l'ouverture du forum sur le droit d'accès à l'information comme levier de la démocratie participative. Contre toute attente, alors que la nombreuse assistance s'attendait à un discours classique d'Abdelkrim Ghellab, celui-ci a reproché au gouvernement de brimer des initiatives de propositions de lois présentées par les députés, de les détourner et d'en charger des instances de son choix. Citant les exemples de deux propositions de lois sur le droit d'accès à l'information (DAI), présentées l'une par la majorité et l'autre par l'opposition, il a déclaré que cette pratique obère gravement l'action législative du Parlement. Dans le cas d'espèce, «nous avons perdu 10 mois de travail à un moment où nous devons faire diligence pour traduire les dispositions de la nouvelle Constitution en textes de loi», a-t-il affirmé. Il s'en est suivi un vif échange entre lui et le chef de gouvernement qui a voulu l'interrompre. Furieux, Abdelkrim Ghellab a rétorqué aux remarques du chef de gouvernement : «Vous n'avez pas le droit, la liberté d'expression fait également partie du droit d'accès à l'information». Très applaudi par l'assistance, il a alors redoublé de critiques envers le chef de gouvernement en marquant sa désapprobation de ce que le dialogue et la concertation sur les esquisses de lois aient lieu en dehors de l'enceinte de l'hémicycle. Le Parlement seul a le pouvoir de légiférer, a-t-il dit, avant de faire remarquer à son contradicteur que les ministres n'ont pas l'initiative de la loi et que pour présenter leur projet au Parlement, ils doivent passer par le chef de gouvernement. Même si les uns et les autres ont tenté d'éteindre le feu, il semble bien que ce clash a corroboré une césure entre le Parlement et le gouvernement. C'est en tout cas le sentiment qui a prévalu dans une assistance qui n'en revenait pas de constater la gravité des dissensions qui couvent au sein de la classe politique dirigeante et le nombre croissant des critiques que suscite le style de gouvernement d'Abdelilah Benkirane. Rien, en effet, ne laissait présager la joute oratoire qui a opposé le président de la Chambre des députés au chef de gouvernement lors de la séance inaugurale du forum. Quelques instants plus tôt, le maître de céans, le ministre de la fonction publique et de la modernisation de l'administration, en a dit les enjeux en termes pressants. Parce qu'il facilite l'accès des citoyens aux informations et aux données relatives à la gestion et qu'il vise la promotion de la transparence, la reddition des comptes et la participation citoyenne, le droit d'accès à l'information ne pouvait ne pas faire débat à l'heure actuelle, a-t-il déclaré devant un nombreux public où les présidents des Chambres parlementaires côtoyaient des diplomates et des représentants de la société civile. Rappelant la position centrale du DAI – il est prévu par l'article 27 de la Constitution et l'article 19 de la déclaration des droits humains et l'article 10 de la convention de lutte contre la corruption-, il a cité au titre des réalisations en le domaine, les lois qui le complètent sur les archives et la protection des données personnelles, la publication électronique… Il a également mis en exergue le fait que le DAI a des prolongements politiques, économiques, sociaux et culturels. Il a considéré que la dimension politique du DAI est liée à la légitimité fondée sur le respect des droits et à sa contribution à la démocratisation de la société. Il a jugé que son prolongement culturel vient de sa contribution à la gouvernance et à la confiance dans l'administration et que son impact économique est dû à l'amélioration du climat des affaires. Le chef de gouvernement a estimé, pour sa part, qu'il n'y a pas d'effet réel du DAI sans participation sincère de l'administration et sans retour à la notion de service public. «Pour que le DAI soit efficace, il faut réformer et moderniser l'administration», a-t-il déclaré. Une réforme qu'il voit comme une plus grande réactivité au milieu, entend comme une plus grande proximité des administrés et une écoute plus prononcée des attentes du citoyen. Il a estimé que toutes ces actions doivent participer d'une approche et d'une vision globales où doivent trouver place les mesures pour ancrer la saine concurrence, réaliser la réforme de la justice, lutter contre la corruption…