ALM : Est-ce qu'on peut dire que la majorité a manifesté contre elle-même ce premier mai avec notamment la manifestation de l'Istiqlal à Rabat ? Mohamed Darif : L'UGTM est liée de manière très forte à l'Istiqlal. C'est vrai aussi que Hamid Chabat a une double casquette puisqu'il est à la fois secrétaire général de l'Istiqlal et leader de l'UGTM. Depuis son élection à la tête du parti, Chabat a souvent été critique vis-à-vis du gouvernement. Il est allé même jusqu'à envoyer un mémorandum, notamment à son principal allié le PJD, revendiquant un remaniement ministériel, un changement de la charte de la majorité et une révision des priorités gouvernementales pour plus de rendement. On peut dire que l'Istiqlal fait de l'opposition au sein de la majorité mais il n'est pas le seul dans cette majorité à avoir un tel discours. C'est dire que le gouvernement rencontre un grave problème d'homogénéité. Les syndicats ont préféré boycotter le dialogue social à la veille du 1er mai. Quelle lecture peut-on donner à cette décision ? Cette décision exprime une absence de confiance entre le gouvernement et les syndicats. L'Exécutif s'était engagé à mettre en œuvre les revendications syndicales, notamment en ce qui concerne l'accord du 26 avril 2011. Aujourd'hui encore, plusieurs points contenus dans cet accord restent en suspens. Cela dit, d'autres dossiers rendent les relations plus tendues entre les partenaires sociaux, en l'occurrence la réforme de la compensation qui pourrait influer sur le pouvoir d'achat des classes ouvrières, des fonctionnaires et des salaires. Je crois que les syndicats ont refusé le dialogue parce qu'ils pensent que ce dialogue n'apporte rien de plus si ce n'est une certaine légitimité pour le gouvernement. Les relations entre les alliés de la majorité se détériorent chaque jour. Faut-il craindre un effondrement de cette majorité ? Tout d'abord, je pense qu'il est anormal d'avoir dans la conjoncture actuelle une majorité très peu homogène. Il y a même une grande difficulté à délimiter les frontières entre la majorité et l'opposition. Toutes les composantes de la majorité sans exception tiennent actuellement un double discours. Alors tantôt les quatre alliés soutiennent l'action gouvernementale, tantôt ils adoptent un discours d'opposition. Cette situation cache probablement un échec du gouvernement à gérer la situation de crise que traverse le pays, notamment sur le plan économique. A mon avis, il existe trois pistes pour dépasser ce climat politique tendu. Soit le gouvernement procède à une profonde autocritique pour sortir de l'impasse, soit aller vers un remaniement profond avec de nouveaux partenaires capables de soutenir la majorité. La dernière piste serait une dissolution de la première Chambre et l'appel à de nouvelles élections législatives. En tout cas, il est aujourd'hui illogique de continuer avec une majorité peu homogène.