ALM : Quelle lecture faites-vous du mémorandum de Hamid Chabat adressé au chef de gouvernement? Mohamed Darif : Le mémorandum de Hamid Chabat s'inscrit dans le cadre de la position ferme qu'il a formulée juste après son élection à la tête du parti. Déjà, il pointait du doigt les failles de l'action gouvernementale et proposait un remaniement ministériel pour y remédier. Aujourd'hui donc, à travers ce mémorandum qui n'a surpris personne par son contenu, Chabat officialise ses revendications. Deux niveaux de lecture sont à distinguer. On a d'un côté le diagnostic du gouvernement, de son action, son architecture et les problèmes qu'il rencontre. C'est un diagnostic qui rappelle toutes les critiques, les remarques adressées au gouvernement et qui ont fait l'unanimité chez les observateurs, les politiques, des acteurs économiques et des journalistes aussi. Le deuxième volet aborde les solutions. Et à ce niveau, les propositions de Chabat portent plus que sur un simple remaniement ministériel, une recomposition du gouvernement. Dans quel sens Chabat exige-t-il plus qu'un simple remaniement ministériel, une recomposition du gouvernement ? Traditionnellement un remaniement est de caractère technique. Il porte sur un secteur donné, après une évaluation. L'intervention se limitait dans les précédents gouvernements (Jettou et El Fassi) au remplacement d'un ministre par un autre, par exemple, un ministre politique par un technocrate ou le contraire. Mais ce que propose Chabat dépasse de loin ce caractère technique : réduction des portefeuilles ministériels, représentation féminine, mise en place d'un conseil de présidence de la majorité comme outil de renforcement de l'homogénéité… La concrétisation des revendications de Chabat suppose un changement dans l'équation, dans la répartition entre les partis, et même dans la recomposition des alliances avec, pourquoi pas, la participation de l'USFP au gouvernement ou le passage de l'Istiqlal à l'opposition. Des hypothèses multiples et envisageables selon le raisonnement de Chabat. Parce que Chabat considère que le gouvernement est composé de quatre partis et pas seulement du PJD et Benkirane. Il estime que l'Istiqlal n'a pas la place qu'il mérite au sein du gouvernement, et il veut que justice lui soit rendue. Quelle approche doivent adopter les autres composantes de la majorité ? Les partis de la majorité doivent bien réfléchir avant de réagir. Il ne faut pas lire ce mémorandum de manière unidimensionnelle, en pensant par exemple que Chabat cherche à travers cette requête à endiguer une crise intérieure, ou simplement à exercer une pression pour placer ses fidèles. Il ne faut pas minimiser l'initiative de Chabat, mais prendre très aux sérieux cet acte politique. Chabat propose à Benkirane une autre vision, une autre dynamique, il se veut une force de proposition. Il veut revoir les règles du jeu et le rapport du gouvernement, y compris des ministres istiqlaliens, par rapport à son parti. Chabat joue toutes les cartes qu'il a entre les mains, il n'a rien à perdre, estimant que la participation de l'Istiqlal doit avant tout servir le parti non ternir son image comme c'est, selon lui, le cas de se produire aujourd'hui. Peut-on dire que Chabat complique la tâche à Benkirane ? La situation de Chabat est plus confortable que celle de Benkirane qui se trouve entre le marteau du nouvel Istiqlal et l'enclume d'un bilan passif du gouvernement résultat de sa logique de la gestion de crise. Le gouvernement n'a, dans ce sens, rien à envier aux précédents, alors que sa promesse était de résoudre les problèmes des Marocains, non de se limiter à la gestion de crise. L'initiative de Chabat incarne donc une décision multidimensionnelle qui a pour but de remédier à ces anomalies.