C'est un tournant décisif dans le secteur du microcrédit. Le gouvernement vient de mettre dans le circuit le projet de loi 34-13 qui remplacera l'ancienne loi 18-97. Après plusieurs amendements et modifications en cours de chemin, le législateur a décidé cette fois-ci de procéder de manière radicale en changeant carrément la loi. Le ministère des finances qui a veillé à l'élaboration de ce projet explique cette démarche par le nombre important des amendements qu'il aurait fallu apporter à la loi actuelle. Il a préféré donc en élaborer une nouvelle. Et pour une nouvelle loi, la loi 34-13 est porteuse de profondes mutations pour le secteur. La première nouveauté qui marque incontestablement un point d'inflexion pour le secteur réside dans le changement de l'autorité de tutelle du secteur. Car dans le projet actuellement en examen, les associations de microcrédit (AMC) ne relèveront plus de la tutelle du ministère des finances mais de Bank Al-Maghrib (BAM) au même titre que les banques, établissements de crédits et autres institutions financières assimilées. Ainsi dans les articles 3 et 4 dudit projet, c'est le wali de Bank Al-Maghrib qui délivrera les agréments aux associations souhaitant exercer les activités relevant de la microfinance comme les crédits mais aussi d'autres opérations annexes. Certes, on peut y voir un signe de maturité pour le secteur dans le sens où les pouvoirs publics souhaitent désormais le considérer comme étant une activité importante et à part entière. Mais ce n'est pas tout. Il ne faut pas perdre de vue la crise qui a fortement affecté le secteur durant les années 2008 et 2009. Marquée par la recrudescence des impayés et de l'augmentation du risque, cette crise a eu des effets manifestes sur le secteur, notamment en termes de restructuration des portefeuilles et même de reconfiguration du paysage. On rappellera, à titre d'exemple, l'absorption de la célèbre fondation Zakoura par la fondation de la Banque populaire ou encore les prémices de regroupement de petites associations à travers le lancement, en 2008, du Réseau de la microfinance solidaire (RMS) avec comme chef de file la Fondation Ardi adossée au Crédit Agricole du Maroc. Durant ces années difficiles, c'était bel et bien Bank Al-Maghrib qui était montée au créneau pour aider la fédération nationale du secteur, la FNAM, afin d'éviter l'effondrement du secteur qui aurait eu à coup sûr des effets graves sur toute l'économie. Aujourd'hui donc, à travers le nouveau projet de loi, l'on peut comprendre la volonté de BAM de renforcer le dispositif de contrôle du secteur. Et cela se sent clairement à travers le projet aujourd'hui sur la table. Car en plus de l'octroi ou du retrait de l'agrément, le champ de contrôle de BAM est élargi à d'autres aspects, notamment en ce qui concerne les règles comptables et prudentielles, le contrôle et la surveillance ou encore les relations avec les clients et les sanctions. Ainsi pour s'assurer de la pérennité de l'activité, une association qui souhaite obtenir un agrément pour distribuer des microcrédits doit, entre autres conditions requises, présenter un business plan prouvant la viabilité de son activité dans un horizon de cinq ans et la suffisance des moyens humains, financiers et matériels pour cela. Autre grande nouveauté apportée par le texte : l'obligation faite aux associations de s'affilier à la fédération du secteur. Cette dernière jouera donc en quelque sorte le rôle que joue aujourd'hui le Groupement professionnel des banques marocaines (GPBM) pour le secteur bancaire. Ainsi, toute association agréée est obligée, en vertu de l'article 15, d'adhérer à ladite fédération. Mais étonnamment, les articles 16 et 17 évoquent une fédération des associations de microcrédit comme s'il s'agissait d'en créer une nouvelle sachant qu'actuellement il existe déjà une, à savoir la Fédération nationale des associations de microcrédit, la FNAM. Cette dernière sera-t-elle abandonnée pour en créer une nouvelle au sens de la nouvelle loi ? En tout cas, les deux articles laissent planer le doute dans la mesure où ils parlent, entre autres, de statuts de la fédération à faire approuver par le ministère des finances et par le conseil consultatif du microcrédit ou encore des attributions de ladite fédération. Enfin, qui dit contrôle dit forcément sanctions. Et le projet de loi 34-13 en a prévu et même de très lourdes. Ainsi, quand une association ne respecte pas les dispositions en matière de taux d'intérêt (voir encadré ci-dessous), n'informe pas sa clientèle des conditions des crédits par voie d'affichage comme il lui est demandé dans la loi ou qu'elle n'informe pas la tutelle des résultats des appels à la générosité publique, elle est mise en garde, avertie et ses dirigeants suspendus. De même, si une association ne remplit plus les conditions d'exercice de l'activité, BAM peut lui retirer l'agrément et l'association est dissoute de plein droit. Pour l'instant, certes, tout cela n'est encore qu'au stade de propositions. Le texte élaboré par le ministère des finances devra encore passer l'épreuve de la concertation avant de pouvoir atterrir au Parlement. Les patrons des associations, de leur côté, ont reçu eux aussi, à la fin du mois de mars, le projet et ont été appelés à y apporter leurs remarques. Et déjà, il semble que bien des dispositions suscitent le débat. Dossier à suivre…