L'écrivain Ernesto Sabato, décédé samedi à l'âge de 99 ans, physicien, peintre et intellectuel engagé, était le dernier des géants de la littérature argentine du XXe siècle, aux côtés de Jorge Luis Borges, Adolfo Bioy Casares et Julio Cortazar. Trois romans, traduits dans plus de 30 langues, lui apportent la consécration internationale: «Le tunnel» (1948), salué par Albert Camus et Graham Greene, «Héros et tombes» (1961, publié en français sous le titre «Alejandra») et «L'ange des ténèbres» (1974). Il ne cessera plus de publier tout au long de sa vie, obtenant le Prix Cervantès de Littérature en 1984, la plus haute distinction de la littérature en langue espagnole. Son essai «Avant la fin» (1999), considéré comme son testament spirituel, balance entre la foi et le scepticisme. Dans sa jeunesse, il avait été secrétaire des Jeunesses communistes: il avait cru «à la Révolution». Mais son scepticisme avait fini par l'emporter. Il se définissait parfois comme «anarchiste chrétien», ou comme «athée». Il naît le 24 juin 1911 à Rojas (province de Buenos Aires), dixième d'une famille de onze enfants. Pour ses biographes, sa personnalité torturée a dû beaucoup au fait de porter le même nom que son aîné, mort en bas âge. Sabato se consacre d'abord à la physique, tout en suivant des cours de philosophie à l'Université de La Plata. Après l'obtention de son doctorat, il travaille à Paris au laboratoire des Curie. Il mène une double vie: le soir, à Montparnasse, il fréquente les surréalistes et se veut poète. Le jour, il se passionne pour la fission de l'atome. Sabato disait qu'il avait vécu à Paris trois crises de son existence: lorsque, militant communiste, il s'y était réfugié pour échapper à un stage de rééducation à l'Ecole léniniste de Moscou, quand il travaillait avec les Curie et craignait de déclencher l'Apocalypse et lorsqu'un ami surréaliste lui avait proposé un suicide conjoint. Une fois rentré en Argentine, après un passage au Massachusetts Institute of Technology (MIT, Cambridge, Etats-Unis), il reprend ses travaux sur la relativité. A partir de 1945, toutefois, il se consacre entièrement à la littérature. Son oeuvre se partage entre le roman et l'essai. «J'écris car autrement je serais mort: pour chercher le sens de l'existence», a-t-il dit. Sabato, qui aimait peindre, se voulait avant tout un homme engagé. Au retour de la démocratie, en 1984, il est nommé par le gouvernement de Raul Alfonsin président de la Commission d'enquête sur les quelque 30.000 personnes disparues en Argentine pendant la dictature (1976-1983). La commission publie le rapport «Nunca Mas» («Jamais Plus»), dont il écrit le prologue. Il parle alors de «descente aux enfers». A propos d'un autre géant des lettres argentines, Jorge Luis Borges, il disait: «Nous fûmes amis, mais la politique nous sépara». «J'ai toujours été également antipéroniste, mais apparemment pour des motifs très différents», a-t-il ironisé. Dans les années 1990, il a souvent pris la défense des trains dont le réseau public était démantelé dans le cadre de la vague ultralibérale lancée par le président Carlos Menem. «Seuls ceux capables d'incarner une utopie, avait-il dit à la jeunesse, pourront prendre part au combat décisif pour récupérer l'humanité perdue». En dépit de sa célébrité, Sabato a vécu modestement ses dernières années dans sa petite maison de Santos Lugares, avec sa fidèle secrétaire devenue sa compagne, Elvira Gonzalez Fraga.