Le journalisme en Espagne passe par une période agitée. Il est fortement affecté par la crise économique et conditionné par la persistance d'un modèle professionnel déphasé. Il est aussi victime d'une crise d'identité et de valeurs aussi bien au niveau des médias que des journalistes. C'est le constat auquel sont arrivés les participants à l'assemblée générale de la Fédération des Journalistes d'Espagne (FAPE), tenue à Pampelune (Nord) les 8 et 9 avril. Dans un véritable cri de détresse à l'adresse des pouvoirs publics, des institutions professionnelles et du collectif des journalistes, la FAPE observe que la réduction du personnel des rédactions des médias espagnols a pour conséquence l'usure au plan physique du reste des journalistes qui sont amenés à assumer plus de charges. Dans un contexte de saturation, le journaliste ne dispose plus de possibilité de vérification du contenu des informations qui lui parviennent. De manière qu'il se voit privé matériellement de l'initiative de chercher l'information en marge des circuits établis et de l'agenda préétabli par les circuits intéressés qui signalent ce qui les intéresse et ce qui devait être communiqué au lecteur. Cette pratique limite au maximum les conditions de travail, affecte la rigueur et les principes déontologiques de la profession. Elle menace aussi les principes de pluralité, d'indépendance, d'objectivité et de véracité. Dans un environnement fortement influencé par la récession économique, le découragement et la peur se sont emparés de l'esprit général au sein des rédactions. Les éditeurs se préoccupent désormais de la comptabilité et des bilans économiques de leur entreprise ainsi que de la recherche de la meilleure formule qui permet, avec les moindres frais, de réduire le personnel professionnel. De leur côté, les directeurs des rédactions laissent de côté le débat journalistique pour soulever des discussions autour des nouveaux profils technologiques incarnés dans des journalistes aux salaires «compétitifs». La seule alternative qui revient dans toute opération de restructuration du media demeure la même et se résume en « des salaires de bas coût ». Dans la pratique, ceci se traduit par l'incorporation de journalistes mal payés, auxquels il est aussi exigé la «cession totale de leurs droits d'auteur» à l'entreprise. Toutefois, « payer mal des journalistes est une manière de les exposer à des pressions, que se soient politiques ou économiques, qui visent à affaiblir leur identité professionnelle et torpiller les codes déontologiques ». Conséquence : renforcement d'un journalisme peu sérieux, diffusion de produits réchauffés, conférences de presse sans questions, prééminence de la rumeur sur la vérité, prolifération d'informations sans vérifier leur source qui tendent à marginaliser l'objectivité comme valeur dans l'exercice de la profession. Ainsi naît le journalisme des animateurs de débats avec des commentaires agressifs, souvent calomnieux dans le simple objectif de faire augmenter les indices d'audience. La déontologie professionnelle est soumise, aujourd'hui, aux lois du marché qu'imposent les éditeurs et directeurs des médias. Les tendances du moment prennent le dessus pour privilégier le spectacle, le sensationnalisme et les informations banales au détriment du critère professionnel. Face à ces conditions dictées par le marché, les journalistes perdent du poids au sein de la rédaction et de la crédibilité auprès de l'opinion publique. Du coup le journal perd de sa valeur et la morale professionnelle s'affaiblit. Pour cet ensemble de causes, la 60ème Assemblée générale de la FAPE, une organisation professionnelle qui groupie 13 associations de journalistes et 19.000 membres, s'engage à défendre les principes éthiques et déontologiques face à tout type de menace contre la survie de la profession. Ces principes ne doivent en aucun cas être sacrifiés pour s'adapter aux goûts du public ou dans la recherche à tout prix de hauts indices d'audience. Les grandes valeurs du journalisme perdurent dans le temps aussi bien en Espagne qu'au Maroc ou dans toute autre partie du monde. La préservation de l'éthique et de la déontologie professionnelles demeure la base d'un journalisme de qualité. La réduction du personnel et la précarité facilitent l'exercice de pressions contre l'éthique et la professionnalité des journalistes de la part des propriétaires des médias, des différents pouvoirs et des sources. La pluralité, la véracité, l'objectivité et l'indépendance, l'honnêteté, le respect de l'intimité et de l'honneur des personnes doivent être la règle d'airain dans le métier.