Les forces de Mouammar Kadhafi devraient livrer jeudi une bataille «décisive» pour reprendre Misrata, l'un des derniers bastions aux mains des insurgés en Libye, à quelques heures d'un vote à l'ONU sur une zone d'exclusion aérienne visant à freiner la répression de la révolte. Les développements se sont accélérés ces dernières 48 heures, avec le régime libyen annonçant une offensive imminente sur Benghazi, siège de l'opposition, puis la bataille de Misrata, et le Conseil de sécurité de l'ONU prévoyant un vote jeudi sur une zone d'exclusion aérienne. Soulignant l'urgence d'une intervention de la communauté internationale qui tergiverse depuis des semaines, l'ambassadeur libyen adjoint à l'ONU Ibrahim Dabbachi, qui a fait défection, a affirmé que son pays avait besoin d'une résolution «dans les 10 heures», sous peine de «voir un vrai génocide». Fort des succès de ses forces nettement mieux armées que les rebelles, M. Kadhafi a affirmé que ses troupes allaient livrer «une bataille décisive» pour prendre Misrata, à 150 km à l'est de Tripoli, selon des images diffusées dans la nuit par la télévision d'Etat. «La bataille a commencé aujourd'hui (mercredi) à Misrata et demain ça sera la bataille décisive», a-t-il lancé devant un groupe de jeunes originaires de Misrata, troisième ville du pays peuplée de 500.000 habitants. «Il ne faut pas laisser Misrata otage aux mains d'une poignée de cinglés», a poursuivi le colonel libyen qui considère depuis le début de la révolte le 15 février les opposants comme des «rats et chiens égarés», manipulés par le réseau Al-Qaïda. Les loyalistes ont mené mercredi une offensive sur Misrata faisant au moins quatre morts et une dizaine de blessés, mais les rebelles ont tenu bon. Ils avaient aussi bombardé à coups de raids aériens et de roquettes la ville d'Ajdabiya, dernier verrou des rebelles à 160 km au sud de leur fief de Benghazi dans l'Est, selon des témoins. Au moins 26 personnes y ont été tuées, a dit un médecin qui a parlé de «combats terrifiants». La télévision d'Etat a ensuite assuré que Ajdabiya avait été «purgée» des rebelles, se félicitant des «victoires» après la chute de plusieurs villes aux mains du régime ces derniers jours, et le repli des insurgés plus à l'Est. Cette percée des loyalistes a provoqué un flot sans cesse grandissant vers la frontière égyptienne de Libyens, entassés par familles entières dans des voitures ployant sous les bagages. Près de 300.000 personnes ont fui le pays depuis le début de l'insurrection. La Croix-Rouge internationale a aussi retiré son personnel de Benghazi vers Tobrouk plus à l'Est, disant être «extrêmement inquiète de ce qui arrivera aux civils, malades, blessés, détenus et autres (personnes) qui ont droit à une protection en temps de conflit». Dans l'Ouest, les troupes régulières ont aussi attaqué à l'arme lourde la localité de Zenten, à 145 km de Tripoli, selon un témoin. «Ils pratiquent la politique de la terre brûlée», a dénoncé la veille Jamal Mansour, commandant des rebelles dans la ville, «les chars bombardent de manière intense et soutenue, et il y a des raids aériens». Alors que la révolte s'est transformée en guerre civile au prix de centaines de morts, la communauté internationale, après des semaines d'hésitation, a finalement décidé de soumettre au vote à l'ONU un projet de résolution prévoyant une zone d'exclusion aérienne. «Mais cela ne veut pas dire que (le projet) est gravé dans le marbre», a souligné un diplomate onusien, précisant que les 15 pays membres du Conseil de sécurité pouvaient encore le modifier. Signe d'un manque d'unanimité, l'ambassadeur russe à l'ONU Vitali Tchourkine a dit que la Russie avait présenté une contre-proposition au projet de résolution, prévoyant un cessez-le-feu, qui pourrait techniquement être lui aussi mis au vote. Pour l'ambassadrice des Etats-Unis à l'ONU, Susan Rice, le Conseil de sécurité devrait envisager «d'aller au delà d'une simple zone d'exclusion aérienne», sans autre précision. Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a, lui, de nouveau exigé l'arrêt des violences et averti que «tuer des gens innocents et désarmés est un crime contre l'humanité». Mais M. Kadhafi, qui reste sourd aux appels à cesser la répression et à quitter le pouvoir après plus de quatre décennies de règne sans partage, a juré de réprimer la révolte dans le sang. Et l'opposition, qui réclame son départ, multiplie les appels à l'aide internationale pour s'en débarrasser. Enfin, la Maison Blanche a appelé les autorités libyennes à protéger les journalistes, après la disparition de quatre reporters du New York Times en Libye, probablement enlevés par des fidèles de M. Kadhafi.