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Les liaisons dangereuses de l'Espagne avec un régime gênant : les affaires qui tuent
Publié dans Albayane le 02 - 03 - 2011

Le réveil de la nation arabe a eu des conséquences non seulement pour ses peuples mais également sur les relations qu'entretenaient les puissances occidentales avec des dirigeants despotes. Si pour les peuples de la Tunisie, d'Egypte et de la Libye, les révoltes ont permis de balayer des régimes corrompus, inhumains et abjects, celles-ci ont révélé aussi l'engouement que des hommes d'affaires européens ont eu pour conclure des contrats alléchants avec des dirigeants sans scrupules et intraitables avec leurs peuples. Outre les bénéfices récoltés, des accords commerciaux ont placé certains gouvernements dans des situations embarrassantes face à l'opinion publique. D'autres ont dû, dans un geste sans précédent annoncé d'annuler des contrats commerciaux eu égard à la nouvelle donne politique générée par l'irruption des révoltes populaires dans le monde arabe. C'est le cas de l'Espagne, dont les ventes d'armes à la Libye, est une rubrique importante dans les exportations vers ce pays.
Il suffit d'explorer les rapports de conjoncture du ministère du Commerce espagnol, des révélations de diplomates étrangers parues dans la presse ou les bulletins du ministère espagnol du Commerce pour avoir une idée de l'intense commerce d'armes entre Madrid et Tripoli. C'est la raison pour laquelle, le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero s'est empressé, peu après le déclenchement de la révolution du peuple libyen, d'annoncer la prohibition de la vente de tout type d'armement au régime Kadhafi. Conformément au Code de Conduite de l'Union Européenne (UE) et aux résolutions adoptés par l'ONU et l'UE en cette matière, il a décidé de révoquer ipso facto les contrats conclus dans ce sens par des entreprises espagnoles. Cependant, les commentaires sur ces contrats ne cessent d'alimenter les débats sur la viabilité d'entretenir des relations avec des régimes dictatoriaux.
Depuis 2005, l'Espagne a exporté vers la Libye des armes pour une valeur de 10,5 millions d'euros, selon le Secrétariat d'Etat espagnol de Commerce qui a omis de donner des détails sur le type d'armement vendu. En 2006, l'Espagne a exporté vers ce pays des armes pour un montant de 25.953 euros, chiffre qui sera porté à trois millions d'euro en 2008 pour la vente de lance-grenades, selon le ministère espagnol du Commerce.
Les contrats de vente de nouveaux équipements de vision nocturne ont été révoqués par le gouvernement en vertu d'une loi, promulguée en 2007, qui disposent que les ventes d'armes seront annulées lorsque le pays destinataire serait impliqué dans tout type d'affrontement armé ou lorsqu'il serait démontré qu'il y ait une violation des droits humains.
En réalité, le commerce d'armes avec la Libye a connu une forte impulsion en décembre 2007, lors de la visite de Kadhafi en Espagne. A en croire un télégramme de Wikileaks, diffusé par le quotidien norvégien Aftenposten et repris par le quotidien gratuit espagnol 20minutos (4.028.083 de lecteurs), le gouvernement espagnol avait signé lors de cette visite des accords en matière de défense d'une valeur de 1,5 million d'euros. L'ex-ambassadeur des Etats-Unis à Madrid, Eduardo Aguirre, avait signalé dans un de ses télégrammes que le gouvernement espagnol tablait sur des investissements en Libye qui pourraient atteindre 12,3 milliards d'euros, dont 12% des exportations comportaient du matériel de défense et aéronautique. Selon le télégramme, 7,3 milliards d'euros seraient placés dans des infrastructures ; 3,5 milliards seront destinés au secteur énergétique et 1,5 milliard pour la défense sans donner de détails sur les équipements militaires à exporter.
En l'espace d'un an, les exportations d'armement espagnol vers la Libye ont augmenté de 7.700% passant de moins de 50.000 euros en 2007 à 3,84 millions d'euros en 2008. L'Espagne a vendu, en 2009, pour un montant de 12,7 millions du matériel à double usage de technologie civile qui pourrait être utilisé à des fins militaires.
Au premier semestre de 2010, indique un bulletin du ministère espagnol de Commerce, la Libye a acheté de l'Espagne pour une valeur de 7,9 millions d'euros, des équipements infrarouges et d'images pour radars, et aéronavals.
Ce commerce avait été formalisé officiellement entre les deux pays, lorsqu'en octobre 2003, l'ex-chef du gouvernement espagnol, le conservateur José María Aznar, avait effectué une visite à Tripoli. Cependant, les investissements espagnols vont connaître une forte impulsion à partir de 2008.
Tous les accords en matière d'armement avec la Libye risquent aujourd'hui de connaître la même fin que le régime en place. Pour des intérêts économiques et géopolitiques, les relations de l'Espagne avec la Libye font partie du réseau de liens forts qui l'unissent à certains pays de la rive sud de la Méditerranée, victimes du totalitarisme, de la corruption et du népotisme. Elle dépend fortement, en matière énergétique, des importations du pétrole libyen (14% de ses besoins) et du gaz algérien (33% de ses besoins). Pour ces raisons, elle emboîte le pas aux autres membres de l'UE, peu enclin à se préoccuper du destin des peuples de la région, de l'instauration de la démocratie ou du respect des droits de l'homme. Avec les révolutions populaires en Tunisie, en Libye et en Egypte, l'UE est désormais appelée à revoir sa politique extérieure à l'égard du monde arabe. Celle-ci devra surtout agir pour le respect des richesses des peuples et enterrer les pratiques néo-coloniales qui se nourrissent du clientélisme et de la complaisance à l'égard des dirigeants peu respectueux de leurs peuples.


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