Finalement le raïs ne partira pas. J'y suis … j'y reste. En bon soldat qu'il est, il refuse d'abandonner le navire même si les vents ont, depuis la révolution de Jasmin, soufflé du côté du changement de cap pour le pays des pharaons. Le discours, tant attendu, prononcé jeudi soir par le président Housni Moubarak, a convoqué toutes les dimensions de la nation égyptienne. L'Egypte dont l'histoire est riche de plus de sept mille ans de fécondation d'affluents d'une civilisation qui fascine encore aujourd'hui le monde. Le message fut direct : je ne partirai qu'en septembre prochain, je ne me représente pas pour un nouveau mandat et c'est l'armée qui assurera une transition tranquille et paisible dans le cadre des institutions en place. Le discours de Moubarak et les communiqués 1 et 2 du haut commandement de l'armée fixent les fondamentaux de la gestion de la transition. La réforme de certains articles de la constitution a pour but d'arrondir les angles en réponse aux demandes pressantes de la rue égyptienne. C'est en fait un lifting de circonstance qui semble encore loin des attentes et revendications des révolutionnaires de la place Attahrir. Moubarak a été très clair sur un autre registre en refusant toute immixtion extérieure dans les affaires internes de l'Egypte. Le message est adressé directement à l'administration américaine qui a fait montre d'une grande inconstance dans cette affaire. L'administration Obama a brillé par une méconnaissance désolante des réalités sur le terrain, traduite par des déclarations contradictoires entre le département d'Etat et la Maison Blanche. Les Américains sont partagés entre la volonté de trouver un sauf-conduit au président égyptien et les impératifs de maintien des grands équilibres des forces dans la région, dans lesquels l'Egypte occupe une place centrale. L'équation de la révolte égyptienne est loin d'avoir livré toutes ses significations. Mais elle a démontré, de manière limpide, que les mécaniques d'analyse qui tentent désormais de tirer des conclusions simplistes sur les dynamiques révolutionnaires se font jour dans la région depuis l'amorce tunisienne. Le changement voulu par les jeunes et la population du pays des pharaons est d'abord un acte volontaire du peuple égyptien qui se nourrit de la sève de ses aspirations et de ses années de privation ainsi que de son ambition de reconquérir son droit à l'expression, à la démocratie et à une vie digne. Dans l'Egypte d'aujourd'hui, l'institution de l'armée est en train de jouer un rôle central dans la transition démocratique voulue et souhaitée par l'ensemble de son peuple. Pour l'heure, cette grande muette a dit son mot. Elle restera à côté du peuple, mais elle ne donnera pas l'un des seins, le chef d'état major des armées Housni Moubarak, en pâture sur l'autel de la transition démocratique. Au regard de la pugnacité des occupants de la place Attahrir et de l'histoire de ce pays, cette révolte ne pourra, en tous les cas, être spoliée ni squattée par des apprentis sorciers qui jubilent devant les couvertures névrosées de chaînes de TV comme Al Jazeera, dans un jeu virtuel. Cette révolution est le fait d'un peuple et la victoire sera sienne. Ce peuple est en train de changer le cours de l'histoire, de battre en brèche toutes les idées reçues sur le changement social dans les sociétés arabes. Avec ce mouvement de masse, beaucoup de catégories d'analyses en sociologie politique devront être revues et revisitées pour éviter à l'avenir les raccourcis simplistes.