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Entretien avec Abdeslam Seddiki : « L'Etat ne doit pas se contenter de jouer au pompier »
Publié dans Albayane le 01 - 02 - 2011

La hausse des prix de certains produits de base s'explique selon l'économiste et le professeur Abdessalam Seddiki par plusieurs facteurs dont notamment l'alternance des périodes de sécheresse qui frappe certaines régions du monde grandes productrices de ces produits avec le phénomène d'inondations qui sévissent dans d'autres contrées comme c'est le cas en Australie qui est l'un des grands exportateurs de blé. Toutefois, la mesure prise par le gouvernement, en consacrant 10 % du budget du fonctionnement à la caisse de compensation restera insuffisante eu égard à l'ampleur des besoins. Chiffre à l'appui, Seddiki souligne que 30% de la population est dans la vulnérabilité. Et d'ajouter que tous les Marocains, les riches comme les pauvres, voire les riches plus que les pauvres, en profitent. Ce qui donne une moyenne de 1,5 DH par jour et par tête d'habitant, affirme-t-il. En d'autres termes, Il faut être prudent sur les chiffres et les lire sur le terrain et non dans l'absolu, précise le professeur universitaire.
Al-Bayane : Qu'est ce qui explique aujourd'hui la hausse des prix de certains produits de base, tels le sucre, l'huile, le thé ?
Abdeslam Seddiki :La hausse des produits de base que vous venez d'indiquer sans oublier celle d'une denrée fondamentale à savoir le blé, s'explique par la conjugaison de plusieurs facteurs dont notamment l'alternance des périodes de sécheresse qui frappe certaines régions du monde grandes productrices de ces produits avec le phénomène d'inondations qui sévissent dans d'autres contrées comme c'est le cas en Australie qui est l'un des grands exportateurs de blé. Par ailleurs, sous l'effet de la croissance démographique et de la demande induite, et de l'amélioration du niveau de vie de larges couches sociales dans les nouveaux pays émergents, l'offre mondiale de ces produits devient insuffisante et l'équilibre sur le marché mondial ne peut se faire que sur la base de l'ajustement par les prix. C'est l'une des « lois » de l'économie de marché et contre laquelle les gouvernements qui adoptent ces lois et en font leur religion ne peuvent absolument rien et se montrent impuissants ! Du reste, comme nous sommes devant une tendance lourde et durable, dans la mesure où toutes les prévisions tablent sur la poursuite de la hausse des prix des produits de base pendant au moins quatre ou cinq années à venir, le phénomène spéculatif, courant en pareille circonstance, est venu aggraver la situation. Il s'agit là aussi d'une pratique des marchés qui fonctionnent dans le désordre sur les bourses internationales. C'est pour cela que la sécurité alimentaire, voire la souveraineté alimentaire, revêt toute son importance. Elle aide les peuples à échapper à l'emprise du marché mondial. Ce qui malheureusement, n'est pas compris par tous les gouvernements qui optent pour une voie contraire.
Estimez-vous que les mesures prises par le gouvernement sont suffisantes en consacrant 10% du budget de fonctionnement à la subvention des produits de base ?
En effet, les mesures prises par tout gouvernement ne sont jamais entièrement suffisantes. Pour prendre le cas du Maroc, c'est bien de consacrer, comme vous le dites 10% du budget de fonctionnement à la caisse de compensation, soit un montant de 17milliards de DH. Cette subvention restera insuffisante eu égard à l'ampleur des besoins : 30% de la population est dans la vulnérabilité ; tous les Marocains, les riches comme les pauvres, voire les riches plus que les pauvres, en profitent. Ce qui donne une moyenne de 1,5 DH par jour et par tête d'habitant !! Il faut donc être prudent sur les chiffres et les lire sur le terrain et non dans l'absolu.
Par ailleurs, la subvention ne porte que sur quatre produits : le gaz butane, le sucre, la farine nationale (et son dérivé le pain) et les combustibles. Ce n'est pas rien, mais tout de même, le citoyen marocain a besoin d'autres choses et le panier de la ménagère est beaucoup plus diversifié. A moins que l'on veuille réduire la consommation populaire au thé et au pain et ce serait bien regrettable.
Comment l'Etat doit-t-il agir pour une meilleure rationalisation de la caisse de compensation ?
Je ne peux pas vous répondre en quelques lignes sur une question qui revêt une dimension sociétale globale. La caisse de compensation est un véritable sujet de politique économique qui a suscité et qui suscitera encore des débats, des colloques et des …polémiques, Son maintien est une nécessité certes dans la situation actuelle. Mais la question qui se pose est beaucoup plus vaste : elle touche aux choix de société et aux orientations politiques. Voulons-nous construire une société plus juste, plus solidaire et plus humaine ? Ou voulons- nous perpétrer l'injustice et la marginalisation ? Voulons-nous un Maroc qui appartient à tous les Marocains ou un Maroc dont les richesses sont concentrées entre une fraction minime de privilégiés et de passe- droits ? etc, etc… Il est temps, avant qu'il ne soit tard, d'agir. Et d'agir vite.
Quelles sont les mesures que devraient prendre l'Etat pour la préservation du pouvoir d'achat ?
Je crois avoir donné des éléments de réponse précédemment. Mais pour être plus concret, j'estime que des mesures doivent être prises non seulement pour la préservation du pouvoir d'achat (s'il y a quelque chose à préserver !), mais pour poser la problématique du pouvoir d'achat et des revenus d'une façon générale. L'Etat ne doit pas se contenter de jouer au pompier et de parer au plus pressé avec quelques déclarations rassurantes. Il faut des actes et des mesures immédiates, à court et à moyen termes. Gouverner, c'est prévoir. Prévoir, c'est anticiper et prendre le taureau par les cornes. Par exemple, en matière de sécurité alimentaire, il est navrant de constater que « le ¨Plan vert » va à l'encontre de cet objectif comme on l'a déjà démontré par le passé. En gros, nous sommes en train de payer le prix des erreurs commises. Et la facture risque d'être lourde et …salée.


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