Pendant cinq jours, les medias libéraux se déchaînent contre « la bigoterie, l'intolérance et le discours politique au vitriol » dont usent et abusent les républicains et leurs alliés très conservateurs du mouvement du «Tea Party». Leur héros s'appelle Clarence Dubnik. Il est le Sheriff du comté de Pima. S'adressant aux medias le soir du drame, Dubnik sort un peu de son rôle de policier et exprime son point de vue. Il pointe du doigt les menaces qui ne cessent de peser sur tous ceux qui exercent un mandat ou une fonction publique. Mais pas seulement. Il dénonce également la perte de toute retenue morale « des commentateurs radiophoniques et de certains animateurs des shows politiques télévisés ». Selon lui, leur discours de diabolisation systématique d'autrui, verse de l'huile sur le feu dans une société où les jeunes n'ont plus aucun repère. Une perspective grave qui les précipite dans des actions irréfléchies, fruit d'une imagination de plus en plus détraquée par la violence que déversent les medias ! La droite républicaine qui s'apprête à entamer son règne législatif à la Chambre des Représentants, se sent visée. Sarah Palin, la colistière de John McCain en 2008 et prétendante à l'investiture républicaine en 2012, est montrée du doigt. Il faut dire que l'ancien gouverneur de l'Alaska use de moyens peu communs lorsqu'il s'agit de critiquer ses adversaires. Ainsi, lors de la campagne pour les élections législatives à mi-mandat, elle avait sillonné le pays pour promouvoir les candidats du «Tea Party», dont les supporters n'hésitent pas à se pointer aux meetings électoraux en portant fièrement leurs pistolets autour de la taille ! Mais, Palin avait surtout utilisé un langage guerrier et publié sur son site internet une carte des Etat Unis ou les circonscriptions, à «abattre » étaient marquées d'une cible de tir ! Parmi ces circonscriptions il y avait celle de Gabrielle Giffords, une démocrate modérée, de confession juive et femme d'astronaute. C'est elle qui organisait « le congrès au coin de la rue », au Comté de Pima, près de Tucson en Arizona, lorsque Laughner lui tire dessus à bout portant, avant de vider son chargeur sur le reste de l'assistance. Le raccourci était trop beau et trop facile. Il a été rapidement franchi par les commentateurs et autres animateurs du camp libéral. Le tireur de Tucson aurait agi sous l'influence de ces messages sibyllins, de ce discours haineux et guerriers. La controverse était installée et le pays tout entier ne savait plus où donner de la tête. « La barbarie » que les soldats américains sont en train de combattre en Afghanistan, en Irak ou au Yémen, revient sur le sol même des Etats Unis. Et comme en 1995 en Oklahoma, elle est l'œuvre d'un citoyen américain « de souche », si l'on peut dire ! Car Jared Loughner – qui fait face maintenant à des poursuites judiciaires fédérales - est issu d'une famille d'américains blancs, des travailleurs honnêtes de ce grand état frontalier du Mexique qu'est l'Arizona. C'est le choc garanti. L'Amérique toute entière se sent perdue. Les gens ne comprennent pas ! Et ils veulent comprendre. Lors de sa conférence de presse le jour du drame, le Sheriff Dubnik avait terminé sa digression en invitant les américains à davantage d'introspection ! « Nous devons procéder à une recherche au plus profond de notre âme », avait-il dit. Alors, tout le monde s'est tourné vers la Maison Blanche, vers le président, vers le leader de la nation. Qu'allait-il faire pour calmer les esprits ? De quels mots usera-t-il pour remonter le moral du peuple ? Et le tribun hors-pair qu'est Barack Obama était au rendez-vous. Il a parlé pendant plus d'une demi-heure. Il a invoqué la religion, le sacrifice, la compassion et la nécessaire union en temps d'adversité. Le président a appelé les américains à faire preuve de dignité, à rejeter les discours ostracisant et à utiliser « les mots qui guérissent au lieu des termes qui blessent» ; avant d'annoncer la bonne nouvelle à une audience captivée : après cinq jours de coma, Gabrielle Giffords a ouvert les yeux. Les 1200 personnes présentes dans l'enceinte de l'université de l'Arizona et les milliers – voir les millions - de téléspectateurs étaient tous en larmes ! Des larmes d'émotion. Mais des larmes d'espoir aussi. L'espoir pour un avenir plus apaisé, dans une Amérique qui retrouve toujours son « union sacrée » dès que les fondements de sa société sont secoués.