Des milliers de Pakistanais ont bravé mercredi à Lahore (est) les menaces de violences pour assister aux funérailles du gouverneur du Pendjab, assassiné la veille, le crime politique le plus important dans le pays depuis l'assassinat de Benazir Bhutto fin 2007. Salman Taseer, 66 ans, l'un des rares politiciens du pays à critiquer ouvertement l'islamisme, a été tué par un de ses gardes qui l'a criblé d'une trentaine de balles mardi, dans un quartier cossu de la capitale Islamabad. Ce meurtre a horrifié le parti du peuple pakistanais (PPP) au pouvoir, dont M. Taseer était une figure. Il a souligné la fragilité d'un pays et d'un gouvernement dont la survie politique ne tient plus qu'à un fil. Le Premier ministre Yousuf Raza Gilani et des milliers de partisans du PPP ont assisté aux prières funéraires au siège du gouvernement du Pendjab, avec un peu de retard en raison de dangereux mouvements de foule. Enveloppé dans un drapeau aux couleurs nationales vert et blanc, le cercueil de M. Taseer a été transporté par hélicoptère dans un cimetière proche situé dans une enclave militaire de Lahore, et mis en terre. La ville était sous haute surveillance et sous tension après les manifestations mardi de dizaines de partisans du PPP dénonçant l'assassinat. M. Gilani avait décrété la veille trois jours de deuil national, en appelant au calme pour éviter de violents rassemblements, comme le pays en a connus dans le passé après des assassinats politiques. L'assassinat de M. Taseer a été condamné par les Etats-Unis, allié d'Islamabad à qui il réclame d'en faire plus contre les rebelles islamistes sur son sol, et par l'ONU et l'Union européenne. Les puissants cercles conservateurs religieux pakistanais se sont, eux, bien gardés de condoléances. L'un des principaux, la Jamaat-e-Ahl-e-Sunnat Pakistan, a estimé que personne ne devait pleurer la mort de M. Taseer et souligné que cela devait servir de “leçon” aux politiciens, intellectuels et autres médias, dans un communiqué signé par 500 responsables religieux. “Un partisan du blasphème est un blasphémateur”, a-t-il jugé à propos de M. Taseer, en saluant en revanche “la bravoure, le courage et la dévotion” de Mumtaz Hussain Qadir, le policier qui escortait mardi M. Taseer. Selon les autorités, Qadir s'est immédiatement rendu. Il a avoué avoir tué le gouverneur en raison de son opposition à la loi sur le blasphème. Accusé par la police de meurtre et terrorisme, il sera déféré jeudi devant un tribunal anti terroriste, ont annoncé ses avocats. Homme d'affaires à succès, Salman Taseer avait publiquement soutenu et rendu visite à Asia Bibi, une mère de famille chrétienne accusée d'avoir blasphémé contre le prophète Mahomet. Une affaire très sensible, libéraux et conservateurs s'opposant régulièrement au sujet de cette législation. Fin décembre, une grève générale décrété par les conservateurs contre toute modification de la loi sur le blasphème a fait fermer de nombreux commerces dans plusieurs grandes villes du pays. A la même période, le PPP avait fait savoir qu'il n'entendait pas modifier la loi. L'assassinat de M. Tasseer et les menaces proférées contre d'autres personnalités libérales soulignent, selon plusieurs analystes, la profonde progression de l'extrémisme religieux dans toute la société pakistanaise. Il intervient alors que le gouvernement, minoritaire au parlement, est désormais à la merci de l'opposition, qui peut le faire tomber si elle s'unit pour déposer une motion de censure. Son chef Nawaz Sharif avait lancé mardi un ultimatum à M. Gilani, lui donnant trois jours à partir de la fin du deuil national pour annoncer des réformes.