Chercheurs, experts et acteurs sociaux sont unanimes à souligner que l'Espagne nécessitera encore plusieurs années pour redresser la barre de son économie et rétablir des taux de croissance qui s'aligneront sur la moyenne européenne. De ce fait, les travailleurs marocains auront un long chemin à parcourir s'ils souhaitent réellement récupérer leurs emplois, améliorer leur pouvoir d'achat et garantir leur permanence au marché du travail. Ce constat est une des conclusions à laquelle sont parvenus les participants à une journée de réflexion, mardi à Madrid, sur « les effets de la crise sur les migrants en Espagne : le cas des Marocains ». A l'issue de dix heures de débats sur le chômage des travailleurs marocains et d'analyse de rapports de conjoncture sur la situation de l'emploi des immigrés en Espagne, il reste clair que les Marocains sont les grandes victimes de la crise économique. Ce sont plus de 47% en chômage, soit 50% environ de ceux qui cotisent à la Sécurité sociale. Ceux qui exercent dans l'économie informelle, sont hélas exclus des statistiques faute de données. Seule l'Enquête sur la Population Active (EPA) que réalise périodiquement l'Institut National de la Statistique (INE), demeure une source de référence dans l'analyse de la population active. Il suffit seulement de retenir quelques chiffres : 265.000 marocains se déclarent être sans activité (174.000 hommes et 91.00 femmes), 62,5% des jeunes marocains de moins de 25 ans sont à la recherche d'un emploi et 35.886 travailleurs en chômage bénéficient de prestations sociales. Les causes de la crise de l'économie espagnole sont, en réalité, exogènes et endogènes. A la crise financière qui avait secoué la plupart des pays industrialisés, en 2008, s'est ajoutée la débâcle du modèle économique national (basé sur l'immobilier) qui avait permis la création, en peu d'années, de huit millions de postes d'emploi et l'utilisation intensive de la main d'œuvre étrangère. Désormais, les perspectives de récupération à court terme sont énormément minces et le futur croissement économique va prendre une allure différente et sera avec d'autres moyens opérationnels. Pour relever ce défi, les marocains sont appelés, à leur tour, à apprendre des métiers, assister à des cours de formation et de formation continue et améliorer leur niveau culturel. D'après les résultats de certains sondages sur le profil de l'immigré en Espagne, les Marocains boudent les cours de formation. C'est la raison pour laquelle M. Driss El Yazami, président du Conseil de la Communauté Marocaine à l'Etranger (CCME) a communiqué aux participants, à l'issue de la journée de réflexion, la disponibilité du CCME pour continuer la réflexion sur la problématique du chômage des Marocains en Espagne. «La crise que vit ce pays n'est pas passagère et risque encore de durer», a-t-il mis en garde assurant que le CCME est conscient de son ampleur et des défis et difficultés que doivent affronter le gouvernement central et les gouvernements régionaux et acteurs sociaux. Toutefois, a-t-il soutenu, les Marocains sont considérés comme des citoyens actifs dans les pays où ils résident et contribuent à la construction de l'avenir commun. Il a proposé de réfléchir sur la gestion régulée de la mobilité des immigrés marocains notant que le chômage des jeunes marocains en Espagne représente une grande menace pour la future génération. Pour cela, il a appuyé les recommandations et propositions allant dans le sens de promouvoir la formation des jeunes et des femmes, accélérer la formation des sans qualification et lutter contre la discrimination dont font souvent l'objet les Marocains au marché du travail. Les réactions recueillies par Al Bayane en marge de cette journée confirment ces réflexions. Pour le sociologue et auteur du «Rapport 2010 : Immigration et marché du travail», Miguel Pajares, il est temps que la société civile espagnole s'occupe sérieusement de la question du chômage des immigrés. C'est aussi le moment de se permettre une pause pour évaluer les effets de la crise économique sur les Marocains en vue de proposer des solutions immédiates et à moyen terme. Pour sa part Walter Actis, chercheur au collectif IOE, les Marocains sont victimes d'une discrimination au marché du travail, une attitude qui rend encore plus difficile leur réinsertion. Il a estimé que la solution du chômage des Marocains passe par trois acteurs. D'abord, le gouvernement qui est responsable d'adopter une politique spéciale au profit des immigrés. Ensuite, les immigrés marocains sont obligés de s'ouvrir sur la formation, l'apprentissage de nouveaux métiers, l'adoption d'un esprit entrepreneurial. Enfin, les chefs d'entreprise sont invités à laisser de côté les préjugés et ne pas marginaliser les Marocains dans les offres d'emploi. Le député d'origine marocaine au parlement régional de la Catalogne et président de l'Association Ibn Batouta, M. Mohamed Chaib, a souligné, cependant, que le Marocains continuent d'être le collectif d'immigrés qui compte le plus d'affiliés à la Sécurité sociale en Espagne en dépit de la crise. Dans ce contexte, il a critiqué les médias et certains groupes politiques qui reprennent constamment le haut pourcentage de chômeurs marocains pour véhiculer un message erroné et laisser entendre que les Marocains sont les grands bénéficiaires des prestations sociales. Heureusement, a-t-il noté, la tendance a changé du fait que les Marocains sont désormais conscients de la situation de crise qui sévit en Espagne et renoncent à venir travailler en Espagne. La journée sur «les effets de la crise sur les immigrés en Espagne : le cas des Marocains», a été organisée par le Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME) en collaboration avec l'Institut international des études arabes et du monde musulman «Casa Arabe», la Direction générale de la citoyenneté espagnole a l'étranger et la direction générale de l'intégration des immigrés.