Ce n'est nullement un acte fortuit que son dernier souhait ait été d'être inhumé en terre marocaine. A maintes reprises, que ce soit dans des conférences données à la Fondation Al-Saoud de Casablanca, ou dans des émissions télévisées, Mohamed Arkoun a loué les changements positifs entrepris par l'Etat marocain pour se mettre sur la voie de la modernité. Cette sommité intellectuelle a toujours gardé des liens étroits avec le Maroc. La preuve, c'est qu'il a choisi la ville de Casablanca comme résidence après sa retraite. Son ami intime, le père Christian Delorme l'a souvent rappelé en diverses occasions. En fait, Arkoun trouvait au royaume «un espace de liberté de parole où l'on tenait compte de ce qu'il disait» a déclaré Christian Delorme à l'agence MAP. Chercheurs, islamologues et professeurs sont unanimes qu'Arkoun était l'un des catalyseurs de la pensée islamique, souligne Ahmed Abbadi, président de la Rabita Mohamedia des Ouléma du Maroc. A lui seul, il forme tout un courant, plaidant dans ses interventions pour ce qu'il appelle «l'islamologie appliquée ». Pour Abbadi, les écrits du Feu Arkoun, Rahimahou Allah, ont constitué un défi à relever pour les penseurs islamiques. Et d'ajouter qu'il a «toujours su révéler les nœuds de la problématique de notre pensée islamique». Toutefois, d'aucuns ont considéré ses écrits controversables, indique Abbadi, dans une déclaration à Al-Bayane. «Il faudrait quand même confesser que toute pensée et toute culture ont besoin de ce genre d'interrogations» affirme Ahmed Abbadi. La rencontre entre les deux personnes remonte à 2007, lors d'une conférence à Fès donnée par Abbadi. A la fin de cette conférence, feu Arkoun s'est présenté en toute modestie demandant à mieux connaître le conférencier «Il m'a posé des questions sur mon itinéraire académique, mes productions scientifique et a surtout tenu à ce que l'on garde le contact». Le geste d'Arkoun était des plus révélateurs pour le Pr Abbadi et cela «témoigne de son attachement au dialogue avec tous les intellectuels du champ religieux en dépit des différences de leurs modes de pensées». Abbadi se souvient de cette rencontre à Fès avec Arkoun : «Il s'est dirigé vers moi en prenant ma main avec chaleur, me demandant, qui es tu ? Où sont tes écrits ?». «Nos échanges ont pris une tournure scientifique et on a eu des échanges fructueux sur le concept d'anachronisme. J'ai beaucoup apprécié que l'une de ses dernières volontés ait été d'être inhumé en terre marocaine. J'ai été très touché par sa modestie». C'est en substance ce que nous déclare le Pr Abbadi. Durant tout son cursus académique, Arkoun a essayé de faire un diagnostic des causes de sous-développement des Etats arabes. Arkoun n'a pas été seulement un penseur sur l'Islam, mais il avait des positions très osées sur la situation politique dans le monde arabo-musulman. L'absence d'une véritable démocratie en est la cause. «Les échecs ont commencé dès le lendemain de l'indépendance des Etats arabes et musulmans. Il regrettait le fait que partout se soient imposés des régimes policiers et militaires, coupés des peuples, privés de toute assise nationale, indifférents ou ouvertement hostiles à tout ce qui peut favoriser l'expansion, l'enracinement d'une culture démocratique». Sa disparition constitue une grande perte pour le monde arabo-musulman. S'inscrivant dans une démarche derridienne en procédant par une approche déconstructiviste, Arkoun a procuré une valeur scientifique à ses recherches. C'est dans ce sens que le philosophe Mohamed Sabila a considéré que les analyses de ce chercheur lumineux sont «caractérisées par une touche de modernité, car le regretté… ne se considérait pas seulement un historien de la pensée arabo-musulmane. Il s'était érigé consciemment en analyste et interprète des structures et composantes de cette pensée sur la base d'une orientation moderne et critique.». Akroun a toujours considéré le fait islamique comme «objet» opératoire devant être soumis à l'analyse et divers outils des sciences humaines et non point un fait abstrait hors de l'influence de l'histoire.