Pour Mohamed Sektaoui, directeur général de la section marocaine d'Amnesty –Maroc, la plus grande réalisation enregistrée par le pays en matière des droits humains, consiste en la reconnaissance par l'Etat de l'existence d'une période sombre dans l'histoire du pays et qu'on qualifie d'années de plomb. Selon lui, la création de l'Instance équité et réconciliation (IER) pour examiner les violations graves des droits de l'homme commises durant la période (1956-1999) est un modèle exemplaire et avant- gardiste dans la région en matière de justice transitionnelle. De même, le responsable d'Amnesty Maroc enregistre avec satisfaction, les progrès réalisés en matière des droits des femmes et l'ouverture d'un large débat autour de la question de l'égalité entre les sexes au sein de la société, en plus d'une grande mobilisation politique, culturelle sur la question. De nombreuses réalisations concrètes sont citées en exemple : Code de la famille, Code de la nationalité, lutte contre la violence à l'égard des femmes et contre le harcèlement sexuel, campagnes contre le travail d'enfants et les petites bonnes… « Toutes ces réalisations donnent l'impression que le Maroc enregistre des progrès en matière des droits humains » souligne le responsable d'Amnesty Maroc qui se félicite de « la dynamique accompagnant ces changements touchant la société civile qui a fait preuve d'une efficacité et vitalité et d'une capacité de participation et de prise d'initiative et touchant le citoyen ordinaire qui a commencé de réagir favorablement par rapport à ces changements» Mais ceci dit, de nombreuses lacunes subsistent encore, regrette Mohamed Sektaoui. «La dynamique amorcée par l'IER et les recommandations qui s'en sont découlées, en plus du mouvement enclenché au sein de la société ne sont pas allés jusqu'à leur but ultime de réalisation des objectifs escomptés, soit la rupture définitive avec le passé en établissant la justice pour les victimes et la poursuite des responsables » Et à Sektaoui d'ajouter qu'il ya un blocage important qui pousse les observateurs à s'interroger sur l'existence d'une volonté politique de fermeture définitive des pages négatives du passé et de les chasser de notre présent aujourd'hui. Mais, si la majorité des chantiers annoncés par l'IER n'ont pas avancé ou non pas été ouverts, personne ne nie les progrès réalisés par l'IER en matière de réparation des préjudices individuels et collectifs, tamponne-t-il. Sur le registre des avancées enregistrées l'année écoulée, il cite, le discours du 20 aout relatif à la réforme de la justice. «C'est un chantier important, mais malheureusement rien n'a changé depuis une année déjà, sachant qu'une dizaine d'organisations de défense des droits humains avait bougé en élaborant un projet de réforme de la justice, qui a été soumis au gouvernement, mai qui est resté sans réponse», regrette Mohamed Sektaoui, affirmant qu'aucun changement n'a eu lieu à ce niveau, ce qui engendre déception et amertume chez les citoyens et citoyennes et les acteurs économiques et sociaux et les défenseurs des droits humains. Outre cette volonté de l'Etat de réformer la justice et la garantie de son indépendance, Sektaoui se félicite favorablement de l'extension de l'espace de protestation et de manifestation. «Les centaines et les milliers d'individus se manifestent dans l'espace public, sans faire l'objet d'inquiétudes ou de répression ou de menaces» se réjouit-il. Il se félicite des initiatives continues au niveau officiel ou au niveau de la société civile relatives au développement de la culture des droits humains et sa promotion ; Parmi les points négatifs, le niveau de pauvreté dans le pays puisque le niveau de vie pour les milliers de Marocains reste, en deçà du seuil minimum fixé par les normes internationales, ce qui incite, au vu de Sektaoui, à donner de la priorité aux droits économiques, sociaux et culturels, non seulement à travers des projets de développement dans le cadre de l'INDH, et qui sont «des projets mis en œuvre dans la précipitation et sans implication réelle des bénéficiaires et sont dans la majorité des cas le produit de décisions administratives ou autoritaires». De tels projets, remarque notre interlocuteur, ne peuvent apporter les résultats escomptés en matière de développement économique, social, culturel et humain du pays. Et pour promouvoir le développement, Amnesty International accorde de l'importance aux droits économiques, sociaux et culturels, car le développement n'est pas uniquement quantitatif, mais il est qualitatif ayant une dimension humaine et exigeante de la participation, transparence et l'interpellation dans le cadre de la responsabilité partagée. Sur le registre des faiblesses, le dirigeant d'Amnesty Maroc fustige la persistance de la pratique de la torture, les restrictions à la liberté d'expression, liberté de réunion et de constitution d'associations. «Des défenseurs des droits humains et journalistes ont été inquiétés reprochés d'avoir franchi les lignes rouges dans leurs écrits en rapport avec la monarchie, religion, et intégrité territoriale» regrette Sektaoui observant que « de nombreux journalistes ont fait l'objet d'harcèlement, d'interrogatoires et de procès et certaines publications nationales et étrangères ont été interdites». Pour Sektaoui, l'année a été marquée par des mesures de répression contre l'opposition, notamment celle fondée sur des bases religieuses comme l'Association non autorisée Al Adl Wa Ihssane. De même, de nombreux individus ont été arrêtés dans le cadre de lutte contre le terrorisme et ont fait objet d'interrogatoire en état d'isolement total, les autorités ont porté atteinte à la liberté de culte à l'encontre des adeptes de la doctrine chiite ou de certains défenseurs des libertés individuelles. En somme, des cas de dysfonctionnements en matière des droits humains ont été enregistrés, note le directeur d'Amnesty Maroc, mais qui restent loin d'être systématiques et il ya nécessité de les dépasser dans le cadre de la justice et respect des droits humains. Et pour remédier aux insuffisances et faiblesses en la matière, Sektaoui estime que le développement des droits humains nécessite que l'Etat soit au service des citoyens. «Il faut que l'homme soit mis en priorité, avant la politique» souligne le directeur général d'Amnesty Maroc.