Dans une lettre ouverte au chef du gouvernement Le Bureau Exécutif du Mouvement Damir a adressé au chef du gouvernement une lettre ouverte dans laquelle il fait le bilan à mi-mandat de l'Exécutif et préconise tant de manquements qui justifient le dépôt d'une motion de censure. Voici le texte de cette lettre ouverte. Monsieur le Chef du gouvernement, Il ne nous est pas agréable de vous adresser cette lettre ouverte, mais l'intérêt supérieur de la Nation nous y contraint. Nous aurions préféré que cette initiative eût émané collectivement des partis de l'opposition parlementaire mais nous constatons, et par la même occasion, nous déplorons que l'initiative, un temps envisagée, des quatre principales formations de l'opposition autour d'une motion de censure du gouvernement n'ait pas abouti à l'occasion du bilan de mi-mandat de votre Exécutif. Nous le déplorons d'autant plus que cet exercice, qui s'inspire d'une idée noble de la compétition politique, surtout en phase de construction démocratique, est hautement salutaire à plus d'un titre, spécialement dans un climat morose où le débat public peine à s'exprimer et à dynamiser la vie politique, tant en termes de valeurs humaines et d'idées que d'offre programmatique. Une situation qui démontre encore une fois, et comme l'appelle le Mouvement Damir de ses vœux, la nécessité de faire émerger un Nouveau modèle politique dans le cadre des constances de la Nation. Vous n'êtes pas sans savoir, Monsieur le Chef du gouvernement, que le Mouvement Damir n'est pas un parti politique. Il n'est aucunement animé par des considérations partisanes ou électorales, mais il est une structure de réflexion présente depuis plus d'une décennie dans le débat public et concernée au premier chef par la question cruciale de la construction démocratique et des libertés publiques, ainsi que par le sujet des politiques publiques et de la bonne gouvernance. Et c'est à ce titre que nous vous adressons cette lettre ouverte pour vous interpeller et éclairer l'opinion publique. Si une motion de censure au sein de la Chambre des représentants n'a pas été possible, notre lettre ouverte aura vocation à remplir symboliquement la même fonction, mais cette fois-ci directement auprès de nos compatriotes. Quelle autre censure a plus de légitimité que celle du peuple ? Dans ces conditions, il n'y a aucunement lieu de s'étonner, Monsieur le Chef de gouvernement, de la démarche qui est la nôtre aujourd'hui, celle de vous interpeller publiquement et de questionner tant les motivations que les résultats de votre politique, tels qu'énoncés dans votre discours de mi-mandat. Nous le faisons en vertu des dispositions constitutionnelles de notre pays, et notamment les articles 12 et 13 de la Constitution qui consacrent la démocratie participative et confèrent aux associations intéressées à la chose publique un rôle central dans la participation « à l'élaboration, la mise en œuvre et l'évaluation des décisions et des projets des institutions élues et des pouvoirs publics (...) ». ». Si étonnement il y a aujourd'hui dans la sphère publique, il ne peut émaner que de votre persistance dans le déni de la réalité en niant les multiples échecs de la politique que vous menez et de votre autisme aux souffrances de nos concitoyens et aux difficultés de nos petites et moyennes entreprises. Comment pourriez-vous argumenter les nombreuses contrevérités énoncées dans ce discours au sujet de la cohérence de votre majorité parlementaire, de la valorisation des compétences nationales par un gouvernement qui recourt systématiquement aux prestations de cabinets étrangers de consulting, de la pérennité du financement du chantier de généralisation de la protection sociale en présence de comptes publics insincères, ou de la pseudo maîtrise des déficits jumeaux au moment où le solde budgétaire devient une simple variable d'ajustement ? Alors qu'au terme de votre mi-mandat, après avoir pris dix grands engagements formels dans le cadre de votre déclaration de politique générale, après avoir fait maintes promesses aux Marocains, après avoir convié les syndicats à signer des accords tripartites, toujours inappliqués, avec votre gouvernement et le patronat, après avoir accepté de revaloriser le SMIC- revalorisation louable en soi – mais sans avoir organisé au préalable les conditions d'une mise en œuvre équilibrée, notamment en accélérant le rythme de la croissance économique, en trouvant des solutions à la fragilité des TPME et en modernisant les administrations publiques, vous persistez aujourd'hui dans votre politique dont l'inefficacité n'a d'égale que son injustice. Cet état de fait devient insupportable pour nos concitoyens et nos opérateurs économiques. Taire cette situation serait pour le Mouvement Damir un renoncement, que le sens du devoir national ne saurait tolérer. Faut-il vous rappeler, Monsieur le Chef du gouvernement, que vous vous êtes engagé avec votre gouvernement à atteindre un rythme de 4% de croissance économique annuelle et à créer un million d'emplois nets au terme de votre mandature. Aucune excuse liée au risque pandémique, aux turbulences géopolitiques exogènes à notre pays ou aux aléas de la pluviométrie ne saurait justifier votre médiocre taux de croissance de 1,3% en 2022 et 2,9% en 2023 ou les 181.000 emplois nets détruits dans l'économie nationale depuis votre arrivée à la tête de l'Exécutif, tandis que les précédents gouvernements que le Maroc a connus depuis plus deux décennies ont tous, sans aucune exception, créé des emplois nets durant leur mandature. Faut-il aussi vous rappeler votre engagement à porter le taux d'activité des femmes à 30%, à sortir un million de familles de la vulnérabilité et de la pauvreté, à réduire l'indice GINI à 39%, à élargir la classe moyenne et à verser un revenu mensuel de dignité aux seniors âgés de 65 ans et plus dépourvus de revenu, ce qui devrait coûter à terme au budget général de l'Etat la somme de 28 milliards de dirhams chaque année. La liste de vos engagements gouvernementaux est longue et celle de vos renoncements politiques l'est tout autant. Celle de vos échecs de gouvernance publique l'est davantage. Le problème pour vous, Monsieur le Chef du gouvernement, comme pour nos concitoyens et nos entreprises, victimes collatérales de votre politique, est que les données statistiques de notre économie nationale telles que publiées par le Haut-Commissariat au Plan et Bank Al-Maghrib, viennent démontrer le recul inquiétant du Maroc dans les différents domaines que vous avez érigés en priorité de votre programme gouvernemental et que vous avez traduits en engagements formels. Ainsi en est-il du taux d'activité des femmes qui a reculé à 19% ou du taux de chômage qui s'est dégradé à 13%. Les 3,2 millions de Marocains qui ont sombré sous le seuil de la vulnérabilité ou de la pauvreté, sous l'effet conjugué de la pandémie de la Covid-19 et des pressions inflationnistes, que votre gouvernement a été incapable de juguler, sont une preuve supplémentaire de l'échec de votre politique. Que dire aussi des défaillances d'entreprises qui se sont accrues de 15% en 2023 pour avoisiner les 15.000 entités ou du déficit de la balance commerciale qui demeure à un niveau vertigineux, de plus de 20% du PIB, dans un contexte de forte volatilité des exportations de phosphates, d'engrais et d'acides phosphoriques et de tassement, voire de recul, des autres secteurs exportateurs à l'exception de l'industrie automobile. Comment expliquer la stabilisation de la part relative de la valeur ajoutée industrielle dans le PIB national, aux alentours de 15%, en dépit de la mise en œuvre de quatre plans d'industrialisation depuis 2005 ; ou le recul des crédits bancaires d'équipement aux industries manufacturières à moins de 20 milliards de dirhams au moment où les banques sont parvenues à faire progresser leurs encours de crédits de près de 370 milliards de dirhams à 1.115 milliards en une seule décennie, si ce n'est par leur réticence à accompagner la politique d'industrialisation du pays telle que décidée par l'Etat. Comment ne pas s'inquiéter de l'aggravation de la dette publique qui atteint des niveaux sans précédent (1.196 milliards de dirhams à fin juin 2023, soit 90% du PIB) ; ou de ce que votre gouvernement appelle « financements innovants », qui n'ont d'innovants que le nom, s'agissant de basiques opérations de lease back ayant permis de céder au capital privé dans l'opacité totale et sans autorisation préalable des représentants de la Nation plus de 100 milliards de dirhams d'actifs appartenant à l'Etat. Comment ne pas souligner que votre gouvernement n'a pas su mettre en avant – malgré quelques mesures novatrices limitées qu'on ne saurait ignorer – les grandes orientations de la Vision Stratégique de la réforme de l'enseignement 2015-2030, pourtant majoritairement reprises dans la loi-cadre 51-19 votée il y a 5 ans, et restée pratiquement lettre morte jusqu'à nos jours, ce qui a hautement contribué à la dégradation du climat social dans l'enseignement et à trois mois de grève quasi continue dans l'éducation nationale, dont les conséquences pédagogiques sur les enfants seront sans nulle doute fortement préjudiciables pour leur processus d'apprentissage ; sans oublier la grève des étudiants en médecine, médecine dentaire et pharmacie, annonçant un risque d'année blanche. Votre gouvernement ne cesse de parler d'ouverture sociale, sans doute pour canaliser le mécontentement et l'inquiétude qui ne font que grandir, mais l'opposition parlementaire ainsi que les partenaires sociaux, en particulier les syndicats, ont le plus souvent l'impression que les discussions sont vaines, en raison de la faiblesse de la culture politique de votre Exécutif, d'un certain entêtement idéologique dont il fait preuve et, disons-le, d'une conviction d'intouchabilité du pouvoir que vous exercez, pouvoir démesuré acquis un certain 8 septembre 2021 dans les conditions électorales que l'on sait. Beaucoup d'acteurs politiques ou syndicaux ont le sentiment que l'on se moque d'eux et que l'on bafoue leurs droits constitutionnels. Dans quel état d'esprit se trouvent-ils aujourd'hui, alors qu'on les a mystifiés? Les griefs que l'on peut faire à votre gouvernement, Monsieur le Chef du gouvernement, sont nombreux et lourds de conséquences, les uns plus dommageables que les autres, pour les citoyens et pour les entreprises du Maroc. Mais il en est un qui est emblématique de la faillite de votre politique : il s'agit, vous l'aurez sans doute deviné, du dossier des hydrocarbures et de la raffinerie marocaine de pétrole la Samir. Ce dossier où vous êtes personnellement partie prenante du fait de vos intérêts privés en affaires, aurait dû faire l'objet d'une procédure de déport dès votre prise de fonction à la tête de l'Exécutif, pour éviter tout risque de prise illégale d'intérêts car le conflit d'intérêts est établi en la matière par simple construction juridique et financière en votre qualité d'actionnaire majoritaire du premier groupe pétrolier marocain. Vous n'avez pris aucune initiative dans ce sens, car aucune loi ne vous y contraignait. Certes ! Mais en présence d'un dispositif législatif lacunaire et d'un grave trouble à l'opinion publique, par ailleurs saignée dans son pouvoir d'achat par la flambée des prix des carburants liquides, l'exigence d'éthique morale et politique eut été de vous déporter de ce dossier et de ne participer personnellement à aucune décision de politique publique ayant un lien direct ou indirect en cette matière. Vous ne le fîtes point ! L'histoire contemporaine de notre pays le retiendra comme un fait majeur, de votre action à la tête du gouvernement. Mais revenons maintenant au fond du dossier. Nous y relevons plusieurs manquements de votre gouvernement, qui auraient justifié à eux seuls une procédure de censure au sein du Parlement. Sans remonter aux origines de la faillite de la Samir, dont les responsabilités directes incombant à l'actionnariat privé étranger et au management de la raffinerie sont évidentes, force est de constater que la responsabilité indirecte des départements ministériels de tutelle, dont certains étaient sous la conduite de ministres appartenant à votre propre formation politique, est incontestable. Ils ont failli à leur responsabilité de surveillance industrielle, écologique et financière de cette raffinerie, et ont manqué à leur devoir de contrôle de la bonne application des dispositions du cahier des charges de la privatisation. Vous n'êtes pas sans savoir, Monsieur le Chef dugouvernement, que les ministères de l'énergie et des mines, de l'économie et des finances, du commerce et de l'industrie, furentdirigés lors des deux décennies qui viennent de s'écouler par des membres éminents de votre parti et dont il serait superflu de dresser la liste tant les noms sont connus de tous. C'est dire l'influence notable de votre parti dans la conduite de ces trois départements ministériels, influence aujourd'hui décuplée sous l'Exécutif que vous dirigez. Si la libéralisation du secteur des hydrocarbures en décembre 2015 sous le gouvernement Benkirane a permis d'alléger la pression sur la Caisse de compensation et de réduire d'autant le déficit budgétaire, il n'en reste pas moins qu'elle a eu des effets désastreux sur le pouvoir d'achat des citoyens et sur la compétitivité des petites et moyennes entreprises. En effet, l'inexistence de mesures d'accompagnement, à travers des aides directes aux ménages les plus vulnérables, et l'absence de régulation du marché, le Conseil de la concurrence étant inopérant à l'époque, ont ouvert la voie à des pratiques délictuelles bafouant la loi sur la liberté des prix et de la concurrence, que les principaux opérateurs du secteur pétrolier ont fini par reconnaître après moultes dénégations. Or, cet aveu a eu lieu sous l'égide d'un corpus législatif poreux, permettant une « transaction amiable » pour reprendre une sémantique employée par le Conseil de la concurrence, ou plutôt un arrangement très favorable, et c'est un euphémisme, aux auteurs du délit de pratiques anticoncurrentielles. Il faut ici souligner que suite aux dysfonctionnements internes observés en juillet 2020 au sein du Conseil de la concurrence et à la remise du rapport d'audit de la commission ad-hoc chargée d'investiguer sur ces dysfonctionnements, Sa Majesté le roi a donné ses hautes directives au gouvernement El Otmani pour procéder à la refonte du droit de la concurrence. Mais face à son attitude de procrastination dans cette affaire, c'est votre Exécutif qui a hérité du dossier et qui, sans procédure de déport, faut-il le rappeler, a fini par faire adopter deux textes de loi lacunaires par une confortable majorité parlementaire. Des lacunes aux multiples manifestations et aux conséquences redoutables, comme la limitation de la publicité des décisions du Conseil pour ne pas divulguer les « secrets des affaires », les sanctions pénales contre les membres du Conseil qui divulgueraient le contenu des délibérations, le pouvoir démesuré accordé au rapporteur général de proposer au Conseil une amende transactionnelle sans aucune limitation ou la réduction drastique de la base de calcul du chiffre d'affaires servant à la détermination de la sanction. Sans ces lacunes législatives, la modique amende transactionnelle de 1,84 milliard de dirhams aurait pu être d'une toute autre ampleur et constituer autant de recettes exceptionnelles pour nos finances publiques. Rappelons, à cet égard, que la Commission d'information parlementaire sur les hydrocarbures qui a rendu son rapport en mai 2018, avait estimé les profits illégitimes du secteur autour de 17 milliards de dirhams sur deux exercices seulement ; montant qui atteint près de 60 milliards de dirhams à fin 2023 selon les estimations du Front national de sauvegarde de la raffinerie marocaine de pétrole la Samir. Vous disposez aujourd'hui, comme vous en disposiez hier, Monsieur le Chef du gouvernement, d'outils législatifs vous permettant d'intervenir rapidement pour mettre fin au désordre observé dans le secteur des hydrocarbures. L'histoire retiendra que vous avez refusé de soutenir, tant dans la législature précédente sous le gouvernement El Otmani que sous l'actuelle avec votre propre gouvernement, deux textes de loi proposés par plusieurs formations politiques, dont l'une d'elles participe aujourd'hui à votre majorité. Il s'agit d'une proposition de loi permettant de plafonner les prix et les marges des hydrocarbures sur une période de six mois renouvelable, en vertu des dispositions de l'article 4 de la loi sur la liberté des prix et de la concurrence, et d'une autre proposition de loi visant le transfert des actifs de la raffinerie la Samir à l'Etat pour ouvrir la voie au redémarrage de l'activité de raffinage pétrolier au Maroc. Or, votre obstination à empêcher cette double initiative parlementaire, pourtant salutaire pour le pouvoir d'achat des citoyens et la compétitivité des entreprises, est fondamentalement antinomique avec le sens de l'intérêt général, que le poste que vous occupez vous impose. Comme nous ne comprenons pas pourquoi l'autorisation accordée en mai 2020 par le tribunal de commerce de Casablanca au gouvernement El Otmani pour louer les bacs de stockage de la Samir, est restée sans suite du fait même de l'inaction de cet Exécutif. Cette location aurait pu nous permettre de constituer un volume de stocks de plus de deux millions de tonnes de pétrole raffiné au prix exceptionnellement bas de 20 dollars le baril de brut, mais l'Office national des hydrocarbures et des mines qui était chargé de signer le contrat de location pour le compte de l'Etat est resté inactif, poussant ainsi le tribunal de commerce précité à annuler son autorisation en mai 2021 et à l'attribuer ensuite (en mai 2023) à une société privée, aujourd'hui prospère sur le marché des hydrocarbures. Est-il nécessaire, ici aussi, de vous rappeler, Monsieur le Chef du gouvernement, que l'ONHYM est dirigé par un membre éminent du bureau politique de votre parti, de surcroît ancienne ministre de l'énergie. Nous mettons en cause votre politique, Monsieur le Chef du gouvernement, non seulement parce que vous avez mal agi dans le dossier des hydrocarbures, mais aussi parce que vous vous êtres abstenu d'agir sur certains aspects essentiels de ce dossier. La charge publique dont vous êtes comptable exige de vous de donner des directives au ministère de l'économie et des finances afin de mener certaines investigations. Nous faisons ainsi référence, et vous l'aurez compris, à l'Avis que le Conseil de la concurrence a publié le 31 août 2022 sur auto-saisine concernant les prix des hydrocarbures, qui renferme plusieurs zones d'ombre et non-dits. La responsabilité du gouvernement eut été de lever le voile sur ces éléments d'obscurité, en diligentant des missions d'audit par les instances compétentes de la haute administration, en particulier par la direction générale des impôts et de l'administration des douanes et par l'Office des changes. Une question fondamentale à laquelle l'Avis précité du Conseil de la concurrence s'est abstenu de répondre, reste en suspens et il appartient à votre gouvernement d'éclairer, à cet effet, tant la représentation nationale que l'opinion publique : Comment expliquer que la marge brute d'importation d'un opérateur modeste (Winxo) est supérieure (0,83 dirham le litre de gasoil et 1,18 dirham le litre d'essence en 2019) à celle du géant du secteur (Afriquia SMDC : respectivement 0,58 et 0,83 dirham)?En l'absence de réponse impartiale et transparente à la question ainsi posée, le risque de voir cette énigme financière se transformer en scandale politique n'est plus une vue de l'esprit. Les Marocains sont attentifs à la parole de Sa Majesté le roi, qui insiste dans ses différents discours sur la nécessaire sauvegarde de la souveraineté nationale comme instrument garantissant la sécurité stratégique du Maroc ; une souveraineté aux multiples dimensions, alimentaire, sanitaire, énergétique, industrielle, numérique et, bien entendu, financière. Or, la politique énergétique de votre gouvernement a la faiblesse d'ignorer les enjeux réels de la souveraineté énergétique, considérant, à tort, que le développement des énergies renouvelables et de l'hydrogène vert serait la panacée. Si la stratégie de développement des énergies propres est d'une pertinence stratégique indiscutable, un tropisme excessif à l'égard de cette seule source d'énergie serait préjudiciable pour notre économie car votre ministre en charge du département de la transition énergétique et du développement durable, semble ignorer que les énergies fossiles représentent toujours la part la plus importante du bouquet énergétique et électrique tant au Maroc que dans le monde. En effet, les énergies fossiles représentent aujourd'hui environ 83% du mix énergétique mondial, contre 93% dans les années 1970, soit une baisse de 10 points seulement en un demi-siècle. Quant au mix énergétique du Maroc, celui-ci reste très largement dominé par les énergies fossiles et les hydrocarbures plus spécialement, avec une quote-part de 90,9%, dont 51,4% pour le pétrole, 36,1% pour le charbon et 3,4% pour le gaz naturel, contre 6,1% au niveau de l'éolien, 2,2% du solaire et 1,0% de l'hydraulique. Dans ces conditions de dépendance extrême aux énergies fossiles, comment peut-on valablement bâtir une politique énergétique publique ambitieuse sur 9% seulement du bouquet énergétique et laisser les 91% restants à la merci des desiderata d'un quarteron d'acteurs privés, qualifiés de « cupides » lors de la campagne électorale de septembre 2021 par un membre éminent de votre majorité gouvernementale? Outre l'acceptation implicite du désordre observé dans le secteur avec les pratiques anticoncurrentielles désormais reconnues par les auteurs du délit, votre politique conduit à aggraver à la fois la dépendance énergétique et la vulnérabilité de notre pays, mais aussi à détériorer davantage notre balance commerciale qui supporte chaque année entre 120 et 150 milliards de dirhams d'importations de produits pétroliers raffinés. Le Mouvement Damir a toujours été partisan, Monsieur le Chef du gouvernement, inutile de vous le redire, du règlement des problèmes politiques et sociaux par le dialogue et la négociation ; conviction plus d'une fois mise en œuvre lors de différents conflits sociaux. Mais du dialogue et de la négociation, nous avons une autre conception, fondée sur le respect partagé, la confiance réciproque entre les partenaires politiques et sociaux, ainsi que sur la transparence des données économiques et financières. Et que constatons-nous ? Refus de reconsidérer vos choix iniques de politique fiscale ; refus de sanctuariser le pouvoir d'achat des citoyens ; refus de mettre fin à l'insincérité des données communiquées de finances publiques ; refus de lancer les grandes réformes édictées par la loi-cadre 51-17, relatives au système d'éducation et de formation ; refus de plafonner les marges et les prix des hydrocarbures ; refus de sauver l'unique raffinerie marocaine de pétrole ; refus d'adopter une loi réprimant l'enrichissement illicite ; refus de lutter contre les conflits d'intérêts ; refus de mettre en œuvre le Nouveau modèle de développement. En face de cela, Monsieur le Chef du gouvernement, le Mouvement Damir entend alerter l'opinion publique et contribuer à l'émergence d'une autre politique. Et s'il vous adresse cette lettre ouverte, c'est pour prendre les hauts responsables de l'Etat à témoin et le peuple avec eux. Nous ne sommes pas dupes des perspectives de succès d'une démarche d'alerte de l'opinion publique, ni d'un possible sursaut de responsabilité au sein du Parlement, qui vous gratifie d'une majorité numérique, confortable et obéissante. C'est le lourd héritage du 8 septembre 2021. Nous savons fort bien quel peut être le résultat de cette initiative, mais qui pourrait légitimement nous jeter la pierre et nous reprocher d'utiliser un moyen éminemment démocratique que nous confère la Constitution pour exprimer à cette tribune la pensée de notre association et, nous en sommes convaincus, d'une très large partie de la société marocaine. Ce débat que nous espérons ainsi lancer, permettra à chacun de dire ce qu'il en pense et aux Marocains d'être édifiés, par-delà les postures, par les comportements des décideurs politiques. Le temps pour développer les propositions que nous portons au service de l'intérêt général, est déjà passé. Nous l'avons fait en temps opportun lorsque nous avions publié en juillet 2019 le mémorandum « Pour un nouveau modèle de développement – Le Maroc que nous voulons ». Nous regrettons, à ce propos, que l'Exécutif ait décidé de mettre sous le boisseau le Nouveau modèle de développement tel que proposé par la commission royale. Mais pour l'heure, nous lançons un appel à tous les députés patriotes, qu'ils relèvent de la majorité ou de l'opposition, nous invitons les parlementaires, quelle que soit leur obédience politique, à un sursaut de responsabilité pour reconnaître lucidement l'échec de la politique gouvernementale et offrir aux Marocains la perspective qu'ils méritent, celle d'un nouvel Exécutif au service de tous les citoyens, porteur d'une politique de justice sociale et fiscale, libéré des conflits d'intérêts et résolument déterminé à sauvegarder la souveraineté de notre pays. Certains esprits chagrins pourraient qualifier notre initiative de vaine. Mais il est une conclusion qui s'impose à toute démarche politique. Vous ne pourrez jamais mobiliser sincèrement les énergies de la Nation, ni rassembler durablement les Marocains derrière une politique d'envergure si vous ne réduisez pas résolument les inégalités sociales et spatiales et si votre politique n'est pas au service de la communauté nationale. Or, voyez-vous Monsieur le Chef du gouvernement, votre politique incarne justement le contraire. Elle est hardiment complaisante avec la grande propriété du capital et systématiquement défavorable au salariat et à la petite entreprise. La philosophie politique et économique à laquelle vous êtes fidèle, Monsieur le Chef du gouvernement, n'est pas la nôtre. Nonobstant les laudateurs qui font florès, les Marocains se rendent bien compte que votre politique est en contresens des nécessités inspirées par les temps modernes et exigées par nos jeunes générations qui entrevoient l'avenir dans un monde de plus en plus dévasté par l'incertitude. Mais au-delà de votre personne, nul n'est dupe que vous exécutez une politique qui vient d'ailleurs, et cette politique, elle sert des intérêts privés dominants et cherche à se légitimiser par la dictée des institutions financières internationales, celles précisément qui ont enfanté le consensus de Washington avec sa pensée néolibérale dominante et sa théorie erronée du ruissellement, qui prétend qu'une politique favorisant les revenus des plus riches, notamment par une réduction de leurs impôts, profite à toute l'économie et aux plus démunis. Et précisément, Monsieur le Chef du gouvernement, notre lettre ouverte a vocation à mettre fin à cette dictée et à contribuer à restituer la souveraineté du peuple au peuple. Croyez, Monsieur le Chef du gouvernement, en l'expression de nos cordiales salutations. Le Bureau Exécutif du Mouvement Damir. 29 avril 2024.