Par Amine Sennouni C'est indéniable. Le Maroc a réalisé des progrès significatifs en matière de transformation digitale. Un état des lieux permet en effet de dégager d'importants acquis réalisés à tous les niveaux, comme il permet de mettre le doigt sur les échecs et les difficultés qui entravent la bonne marche de ce processus lancé depuis plusieurs années dans le cadre d'une transformation globale impulsée au plus haut sommet de l'Etat. Elles démontrent ainsi que de plus longues enjambées sont désormais nécessaires pour aller plus vite. Malgré les différentes stratégies nationales déployées, le Royaume se classe 79e sur 131 pays en termes de préparation aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. Le Maroc a déployé durant la dernière décennie plusieurs programmes nationaux pour le développement du digital (e-Maroc 2010, Maroc Numérique 2013, Maroc Digital 2020...). Mais à mesure que défilent stratégies et autres plans de transformation, force est de constater que les avancées réalisées sont restées en deçà des ambitions affichées et surtout insuffisantes et pas assez rapides pour pouvoir s'accorder à l'ampleur et au rythme soutenu des mutations technologiques, économiques et sociales qui s'opèrent dans le monde. En cause, plusieurs difficultés liées notamment à la gouvernance, aux infrastructures, à la réglementation, aux ressources humaines et à la culture du digital. Les obstacles au développement du digital Le développement du secteur numérique marocain est freiné par des difficultés liées à l'insuffisance en termes de capital humain et à la faiblesse de l'investissement dans l'infrastructure numérique. Toutefois, le Maroc pourrait prétendre au statut de « Digital nation » en accélérant son développement numérique, en faisant des choix pertinents et en menant des politiques publiques audacieuses. La note d'orientation de l'Agence de développement du digital pour la période 2021-2025 met en avant trois orientations stratégiques de base: l'accélération de la mise à niveau digitale de l'administration, la promotion d'un écosystème d'innovation digitale pour booster la compétitivité des entreprises et l'inclusion de la population par la généralisation du digital. Néanmoins, face à l'évolution rapide des technologies numériques, il est nécessaire de s'interroger si ces orientations sont suffisantes pour accompagner la révolution technologique 5.0 et au-delà. Les acteurs privés insistent sur l'importance d'une stratégie publique de soutien au développement prioritaire des technologies telles qu'un cloud national, les services de la 5G, l'intelligence artificielle, la block-chain et la cybersécurité. Ces technologies sont indispensables pour positionner le Maroc en tant que « hub africain du numérique ». L'infrastructure numérique à son tour, demande un renforcement des acquis pour l'adaptation de l'offre de connexion aux réseaux de télécommunications, en ajoutant que la fracture numérique relève un défi majeur pour le développement numérique, pour deux raisons principales ; la non disposition auprès des citoyens, des équipements nécessaires de connectivité et l'obligation d'assurer la protection des droits et des données à caractère personnel des usagers d'internet. La mise en place d'un « réseau Giga » est un préalable essentiel pour l'installation de plateformes intelligentes ultra automatisées et la convergence d'outils puissants d'intelligence artificielle et de traitement de grandes masses de données (big-data). Le Maroc doit, en effet, repenser sa stratégie numérique et investir dans des infrastructures et technologies clés pour combler son retard et s'imposer comme une « Digital nation » en Afrique. Le cadre stratégique de la gouvernance numérique, a été marqué par l'inachèvement de certains projets mis en place lors du plan national de la réforme de l'administration (2018-2021), notamment le schéma directeur de la transformation numérique de l'administration, la plateforme « Gateway gouvernementale » .... Ainsi, l'exécution du plan Maroc numérique 2020 (PMN) couvrant la période 2016-2020, n'a pas eu lieu, en raison de la non-implication des acteurs concernés lors de sa création. S'agissant du cadre juridique, il a été caractérisé par le retard d'adoption de quelques textes juridiques, notamment le projet de loi n°41.19 relatifs à l'administration numérique, élaboré depuis 2019, et qui vise à traiter des questions fondamentales à caractère transverse dans le domaine du développement du numérique dans les services publics. En matière de la gouvernance numérique, il faut cimenter le rôle de l'Agence de développement du digital (ADD) en tant qu'acteur de référence en matière de mise en œuvre, de suivi et d'évaluation de la stratégie de développement numérique. Anticiper et préparer le futur: des propositions Le Maroc gagnerait à adopter une vision globale pour le développement numérique, s'appuyant sur une approche transparente, innovante, inclusive- impliquant l'ensemble des acteurs concernés et sur une appropriation collective des enjeux inhérents à l'évolution du numérique. Cette vision devrait tenir compte notamment, des principes directeurs suivants : – Asseoir les bases d'une gouvernance intégrée du numérique susceptible de créer une nouvelle dynamique dans le domaine de l'économie numérique ; – Adapter le cadre réglementaire à l'évolution rapide des technologies numériques. – Renforcer la politique de cybersécurité, de manière à rehausser la confiance chez les utilisateurs du numérique ; – Investir massivement dans les infrastructures numériques, tout en tenant compte des enjeux de la souveraineté digitale ; – Mettre l'Humain au centre de la vision numérique et favoriser sa participation pleine dans le développement de l'écosystème digital ; – S'orienter vers une économie digitale verte, créatrice de richesse, tout en limitant les impacts négatifs sur l'environnement ; – Faire du numérique un outil de soft power. L'un des facteurs clés de succès d'une «Digital Nation» qui fait consensus auprès de la communauté des experts est de savoir combiner les tissus économiques et sociétaux dans le cadre d'une gouvernance agile. Ceci repose à la fois sur des capacités technologiques importantes, des politiques de soutien ciblées en direction des institutions privées ou publiques impliquées, ainsi que la présence de talents en nombre suffisant pour animer cette dynamique. En clair : une «Digital Nation» doit pouvoir combiner de manière harmonieuse les facteurs «Hard» (tuyaux, infrastructures, investissements) ainsi que les éléments «Soft» (éducation, contenu, vision)