Conférence-débat à la fondation Links Khalid Darfaf Le Maroc a tout à gagner à préserver son industrie de raffinage, a souligné d'emblée l'économiste, Mohamed Benmoussa, lors de la conférence-débat, organisée, vendredi 17 février, par la fondation universitaire Links. Placée sous le thème « La Samir est-elle un enjeu stratégique pour le Maroc ? », cette rencontre scientifique fut une occasion pour le conférencier afin d'analyser les tenants et les aboutissants de ce dossier, en inscrivant son analyse, pour emprunter le philosophe Jaques Derrida, dans une approche de déconstruction. L'éminent économiste s'est livré ainsi, sans ambages ni tergiversations, à un diagnostic des origines de la crise tout en décortiquant l'ensemble des défaillances de la gestion de ce dossier épineux. Une gestion qui laisse amplement à désirer et suscite, par conséquent, un nombre d'interrogations sur l'inaction du pouvoir exécutif et son attitude passive, et ce depuis la privatisation de ce joyau industriel. Comment se fait-il qu'on veut effacer d'un trait sur une entreprise dans laquelle on a injecté environ 6 MMDH après les incendies de 2002 dans le cadre d'un programme d'innovation ? Il faut dire selon le conférencier que la création d'une nouvelle entité de raffinage, avec les mêmes caractéristiques de la Samir, nécessite la mobilisation d'une enveloppe budgétaire variant entre 60 à 80MMDH. Le professeur universitaire a ainsi regretté le fait qu'il n'y ait pas de coopération entre le pouvoir judicaire et celui de l'exécutif, sous prétexte qu'il s'agit d'un dossier complexe, soumis actuellement à la procédure d'arbitrage, comme n'a cessé de le répéter le gouvernement, loin s'en faut. Pour l'ancien économiste en Chef de la CGEM, il s'agit bel et bien « d'un argument juridiquement et politiquement irrecevable ». « La Samir appartient aux créanciers de la Samir et le syndic judiciaire demeure le garant de la protection de leurs intérêts. Cela étant, l'Etat n'a aucun lien juridique avec la Samir », a-t-il noté en substance. Et de poursuivre, « il est politiquement inacceptable de laisser un pays otage d'une situation aussi précaire sous prétexte qu'il y ait un risque juridique pour l'Etat marocain. » « Ce qui est enjeu, c'est un contentieux entre un investisseur international étranger et l'Etat marocain. Et ce contentieux n'a aucun rapport juridique et politique avec la Samir », a-t-il expliqué, avant de mettre l'accent sur le fait que « ce la procédure d'arbitrage ne peut en aucun cas être un argument pour justifier l'inaction de l'Etat dans ce dossier. » L'erreur de l'Etat ————————– Assurément, a-t-il insisté que « la politique du raffinage va permettre à notre pays à réduire sa dépendance énergétique. « Nous sommes confrontés au risque, outre la fluctuation des cours de pétrole brut, des rapports de forces de l'industrie des raffinage», a-t-il noté en substance. Il va sans dire que « la préservation de l'industrie du raffinage permettra à notre pays de former un contre-poids à l'hégémonie d'un marché oligopolistique qui est celui de la distribution des hydrocarbures. D'ailleurs, a-t-il poursuivi, « l'Etat a commis une erreur stratégique en cédant la totalité de ses parts dans le capital de la Samir. » Cela dit, la leçon qu'on doit en tirer, c'est que plusieurs pays non producteurs de pétrole sont des acteurs puissants dans l'industrie du raffinage. Abondant dans le même ordre d'idées, Mohammed Benmoussa a considéré qu'il y a certainement dans de la démarche de la gestion de la liquidation de l'entreprise. D'ailleurs, s'est-il interrogé, comment se fait-il que le processus du transfert des actifs de la Samir n'a pas abouti ? Et de poursuivre : est ce qu'une telle situation est due à une interférence entre les intérêts ou à des attitudes passives qui ne favorisent point une sortie de crise ? Le malheur, « c'est qu'il s'agit des questions auxquelles il n'y pas malheureusement de réponses», dixit-il. Pour l'éminent économiste, la raison recommandait à ce que « le pouvoir exécutif fasse preuve d'une logique de coopération dont la finalité consiste à soutenir le pouvoir judiciaire afin de sortir par le haut. », tout en révélant qu'environ 20 opérateurs ont manifesté leurs intérêts pour l'achat des actifs de l'entreprise, mais en vain. Et ce n'est pas tout, étant donné que l'arrêt des activités de la Samir a eu des effets pervers sur le marché des hydrocarbures au Maroc. D'abord, il est à souligner que ce secteur avait fait l'objet d'une libéralisation brutale ou par euphémisme irréfléchie et mal mise en œuvre. Conseil de concurrence : un avis sommaire ——————————————————— L'une des autres dysfonctionnements de cette libéralisation mise en place sans mécanismes d'accompagnement, c'est que l'Etat, après avoir décompensé totalement la subvention des hydrocarbures, avait considéré en fin 2015 que le marché des hydrocarbures a atteint un stade d'autorégulation et que les opérateurs étaient suffisamment matures pour supprimer l'homologation des prix. Cette décision a laissé le secteur, pour paraphraser joseph Stieglitz, à la merci du fanatisme du marché, a-t-il laissé entendre. Autre point non moins important de cette libéralisation hâtive, concerne le Conseil de la concurrence qui n'a jamais été opérationnelle à l'époque d'Abdelaali Benamor. Certes, le texte suprême de la nation a consacré le rôle de cette instance en tant qu'institution indépendante, chargée d'assurer la transparence et l'équité, mais plusieurs points d'interrogations demeurent en suspens. En fait, le conférencier a qualifié de très partiel et d'extrêmement sommaire le dernier rapport de cette instance, qui en fait, ne refléter la partie émergée de l'iceberg. Mais cela n'empêche d'asserter que ce rapport contient quelques vérités apodictiques. En fait, dans le rapport de ladite instance on peut y lire noir sur blanc que « les acteurs de l'industrie pétrolière ont profité d'un effet d'aubaine en accroissant, de façon incommensurable, leurs marges bénéficiaires en 2020 et ce en pleine crise de la Covid 19 alors que l'activité économique était en chute drastique », a déclaré l'intervenant. En sus de cela, le paradoxe que l'on peut déduire de l'avis du Conseil de la concurrence, « c'est que le leader du secteur, qui détient une part de marché s'élevant à 24,3% se débrouille très mal en apparence. » Le pouvoir transactionnelle : l'autre question En termes plus clairs, depuis août 2015 date de l'arrêt de l'activité de la Samir, le leader du marché importe le produit raffiné à un coût de revient très largement supérieur au coût cde revient d'un opérateur de taille très faible détenant une part de marché de 6%. Il s'agit là d'un paradoxe par excellence. « Or, quand vous avez cinq à six fois la taille d'une petite entreprise et que vos coût de revient sont plus élevés, cela signifie que vous êtes un très mauvais gestionnaire ou vous avez d'autres intérêts ailleurs », a fait remarquer Mohammed Benmoussa. Sur un autre registre, le conférencier s'est attelé dans son intervention sur ce qu'il a désigné de « pouvoir transactionnelle ». En fait, la nouvelle loi dispose la possibilité de traiter de façon transactionnelle les infractions au droit de la concurrence, à condition de plaider coupable. Le hic, c'est que l'amende transactionnelle était auparavant limitée, maintenant ce n'est plus le cas. Une orientation qui va à l'encore des recommandations majeures du nouveau model de développement, a-t-il affirmé. « La nouvelle loi donne au conseil de concurrence un pouvoir de négociation que avons souhaité de le retirer à la Direction général des impôts », a-t-il expliqué. Cela étant, une telle orientation pourrait être susceptible de pratiques peu transparentes et va à l'encontre de l'éthique, a-t-il regretté. Parmi les dysfonctionnements du marché des hydrocarbures, Mohammed Benmoussa a mis l'accent sur les mauvaises décisions ou plutôt les ratages de l'exécutif en matière du stockage, citant dans ce sens la question de location des bacs de stockage de la Samir dotés d'une capacité de 2 millions de m3, qui fut un véritable fiasco. Grosso modo, la préservation de la Samir est une nécessité vitale pour l'économie nationale. Argument à l'appui, « le coût de l'importation des produits pétroliers pour le pays représente 163,5MMDH en 2022, soit la moitié de la balance commerciale », a-t-il fait savoir. Taxer les superprofits ————————— D'une manière ou d'une autre, la sortie de la crise requiert d'abord que le parlement se ressaisisse de ce dossier ou encore la création commission adéquate impliquant des experts nationaux et internationaux pour lever le voile sur le dossier la Samir. A cela s'ajoute la mise en place d'une régulation efficace et saine du marché en procédant au plafonnement des marges bénéficiaires des opérateurs et récupérer les profits supplémentaires accumulés depuis décembre 2015 et sont estimés à 50MMDH par le Front national pour la sauvegarde de la raffinerie marocaine de pétrole. Comme quoi, la solution consiste, entre autres, à « juste emprunter le chemin de certains pays qui n'ont point une obédience marxiste, mais qui ont fait prévaloir les intérêts de leurs nations en taxant les superprofits des opérateurs pétroliers, tout en instituant un bouclier tarifaire pour protéger les petits consommateurs », a-t-il conclu.