Trois magistrats français ont atterri dimanche à Beyrouth pour poursuivre leurs investigations dans l'enquête instruite à Nanterre visant Carlos Ghosn, ancien patron de l'alliance Renault Nissan. Les magistrats de Nanterre ont prévu de rester jusqu'à jeudi dans la capitale du Liban, où ils doivent notamment auditionner des témoins, selon une source proche du dossier. Ce voyage ouvre aussi la voie à un changement éventuel de statut de Ghosn, qui vit à Beyrouth depuis son évasion du Japon fin 2019. Concrètement, la justice française peut demander au procureur libanais la « notification des charges » à Ghosn – l'équivalent d'une mise en examen en France – ou encore prononcer un mandat d'arrêt à son encontre. C'est le second déplacement de magistrats français dans cette affaire: en juin dernier, Ghosn avait été entendu en audition libre pendant cinq jours, pour les enquêtes le visant à Nanterre, mais aussi à Paris, dans le cadre d'une commission rogatoire internationale. A l'issue de cette audition, ses avocats l'avaient dit « heureux d'avoir pu expliquer sa position » Il avait toutefois refusé de répondre aux questions basées sur un disque dur, qu'il estime avoir été volé au Liban par Nissan et peut-être modifié, a-t-il déclaré dans une interview au Parisien le 12 février. D'après une autre source proche du dossier, les auditions de témoins qui doivent avoir lieu cette semaine au Liban pourraient être en lien avec ce disque dur. A l'issue de son audition en juin, ses avocats avaient assuré espérer que leur client obtienne un changement de statut, telle qu'une mise en examen, pour pouvoir soulever la nullité de la procédure à cause, notamment, de ce disque dur. L'ancien magnat de l'automobile est visé en France par deux procédures judiciaires : à Paris, pour les prestations de conseil conclus par RNBV, filiale néerlandaise incarnant l'alliance Renault-Nissan, avec l'ancienne ministre française de la Justice Rachida Dati et le criminologue Alain Bauer; et à Nanterre, notamment pour abus de biens sociaux et blanchiment. A Nanterre, les enquêteurs s'intéressent vivement à près de 15 millions d'euros de paiements considérés comme suspects entre RNBV et le distributeur du constructeur automobile français à Oman, Suhail Bahwan Automobiles (SBA). « Ils n'ont pas trouvé un seul flux financier provenant de Renault ou Nissan qui m'incrimine », a récemment rétorqué Carlos Ghosn, au Parisien. La justice soupçonne également Carlos Ghosn d'avoir tiré un bénéfice personnel d'une convention de mécénat entre Renault et l'établissement qui gère le Château de Versailles, en y organisant deux soirées, ce qu'il conteste. Âgé de 67 ans et visé par un mandat d'arrêt d'Interpol, l'ancien homme d'affaires, qui a les nationalités libanaise, française et brésilienne, est contraint de rester au Liban depuis sa fuite rocambolesque du Japon en décembre 2019. Il a précisé y donner des cours, à l'université de Beyrouth. Arrêté en novembre 2018 à Tokyo, il avait justifié son évasion en assurant avoir voulu échapper à l'injustice, dénonçant un complot des autorités japonaises. Il a par la suite cosigné un livre « Le temps de la vérité ». Plus récemment, il a de nouveau dénoncé plusieurs « coups de poignard ». « Le premier coup de poignard est venu des Japonais, mais le coup de poignard mortel a été porté par le gouvernement français et le conseil d'administration de Renault », a-t-il dit au Parisien. « Pour l'instant, je ne peux pas revenir en France », a aussi déclaré Carlos Ghosn, du fait du mandat d'arrêt d'Interpol. « Je suis Français, j'ai été éduqué en France, j'ai vécu en France, j'ai une attache très profonde. La France est là, elle reste, les gouvernements, eux, passent. Bien sûr que le jour où je pourrai, j'irai en France », a-t-il clamé.