Etudes de médecine : 6 ans au lieu de 7 ans Ouardirhi abdelaziz Le gouvernement a décidé de réduire la durée des études en médecine à six années, au lieu des sept années en vigueur depuis de nombreuses années. C'est ce qu'a indiqué le ministre de l'Enseignement supérieur, Abdellatif Miraoui, dans une note transmise, jeudi 17 février 2022, aux présidents des universités marocaines qui polarisent les facultés de médecine. Pourquoi une telle décision en ce moment précis ? Comment doit-on appréhender cette réduction de la formation? On fait le point avec différents acteurs du système de santé. Le ministre de l'Enseignement supérieur, Abdellatif Miraoui, explique que cette mesure entre dans le cadre de la mise en œuvre de la généralisation de la couverture sociale dans le Royaume, particulièrement la partie relative à la mise à niveau du système de santé et à l'amélioration des prestations de soins pour l'ensemble des catégories de la population qui sont (ou seront) concernées par le régime de l'Assurance maladie obligatoire (AMO). Par cette approche, le nouvel exécutif entend remédier progressivement à une situation qui a mis à mal notre système de santé depuis plusieurs années. Une situation due au manque de médecins, au désert médical qui existe au niveau de certaines zones enclavées du pays. Il s'agit entre autres de mettre un terme aux disparités régionales, de rendre les structures sanitaires publiques plus performantes, plus humaines, plus compétitives et attractives. Des changements progressifs qui seront de nature à encourager les professionnels de santé à s'investir encore plus, à remédier aux nombreux départs des médecins qui cherchent à aller travailler et à s'installer à l'étranger . Un malaise profond Depuis plusieurs années, le malaise qui parcourt les étudiants en médecine de la 6e et 7e année, ainsi que les jeunes médecins, est pratiquement constant. Les médecins ont toujours demandé une révision de leur statut. Ils souhaitent depuis le temps de yassmina baddou de bénéficier de l'indice de salaire 509 au lieu de l'indice 336, mais toutes les promesses n'ont pas été tenues. S'en est suivies de nombreuses grèves que le secteur de la santé a connu et que tout le monde a pu suivre. Un malaise que les décideurs ont toujours fait mine d'ignorer, mais dont les conséquences se sont avérées lourdes. Aujourd'hui, nombreux sont les médecins, particulièrement les jeunes diplômés, qui ont fait le choix de s'expatrier, de travailler sous d'autres cieux. Ce que reprochent la grande majorité des jeunes médecins au système de santé, c'est en premier lieu la faible rémunération, la dégradation des conditions de travail, l'absence d'une politique de formation professionnelle tout au long de la vie active, la valorisation des carrières.... Autrement dit, un avenir incertain après tant et tant de sacrifices et d'études longues .C'est la raison qui a incité les jeunes médecins à tenter l'expérience dans d'autres pays où les conditions d'exercer sont meilleures, plus de moyens, rémunération confortable, protection sociale, un plan de carrière .... Autant de d'éléments et avantages qui séduisent les jeunes praticiens Marocains, qui sont nombreux à partir en France, en Allemagne, au Canada, aux états Unis, des pays prêts à tout pour combler le déficit de professionnels de santé (médecins-infirmières..) auxquels ils sont confrontés. Un phénomène très inquiétant voir nos compétences (ingénieurs, infirmières, médecins .....) pour lesquels le Maroc, les familles consentent de grands sacrifices, quitter du jour au lendemain le pays pour offrir leur savoir et compétences à autrui est une réalité amère, douloureuse et pénible pour tous. Le phénomène de la fuite des compétences n'est pas nouveau, mais s'accentue d'année en année, et finira par vider le secteur public de ses ressources. Selon un travail minutieux de l'OCDE qui met en exergue une pénurie chronique mondiale de médecins, le Maroc comptait à fin 2018, pas moins de 5.300 blouses blanches ayant déjà émigré vers les seuls pays de l'OCDE. Un chiffre qui est à revoir à la hausse car aujourd'hui, se sont 7.000 médecins qui ont migré. La situation est très sérieuse, risque de devenir critique. Elle nécessite des actions urgentes ; si rien n'est entrepris aujourd'hui, cela risque à moyen et long terme de vider nos structures sanitaires de ses praticiens (généralistes et spécialistes). Un constat d'autant plus déplorable quand on sait qu'avec moins de 25.000 médecins, notre pays affiche un ratio d'à peine 7,2 médecins pour 10.000 habitants alors que l'OMS recommande un minimum de 23 médecins. D'où un besoin global de près de 80.000 médecins (donc une pénurie de 55.000 médecins) pour avoir un système de santé qui se respecte, et être en mesure d'asseoir sur des bases solides et pérennes la mise en place du projet de la couverture médicale universelle. Réduire la durée de formation des médecins généralistes Le Maroc compte 25.575 médecins dans le public et privé. Pour une population de 36 millions d'habitants, le ratio est de 7,1 médecins pour 10.000 habitants. Le Maroc est encore très loin du standard de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) fixé à 15,3 médecins pour 10.000 habitants. Le système de santé souffre d'un manque cruel en ressources humaines. Le ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, avait indiqué à la Chambre des représentants que le Maroc a un déficit de 97.566 professionnels de santé, dont 32.522 médecins et 65.044 infirmiers. Avec des ressources humaines en nombres très insuffisants, il serait très hasardeux et lourd de conséquences de s'aventurer dans la mise en place de la couverture médicale universelle, qui doit répondre aux besoins de santé de toute la population Marocaine en 2022. Mais force est de constater que notre pays en toute objectivité, et sur la base des chiffres que nous avons présentés, ne pourra pas relever ce défi dans l'immédiat. La question de repenser la formation des médecins et de l'adapter aux besoins de santé des populations présents et futurs se pose donc avec acuité. Pour disposer de plus de médecins, et afin de combler le déficit actuel, le ministère de l'Enseignement Supérieur, monsieur Abdellatif Miraoui , prévoit la révision de la période de formation en médecine, jugeant adéquat de la réduire à 6 ans au lieu de 7 ans. Ce qu'en pensent les professionnels ? Pour nous permettre d'avoir le plus d'avis possibles sur la question qui consiste à savoir : si 6 années sont suffisantes pour la formation d'un médecin généraliste ? Nous avons adressé des questions fermées concernant ce sujet à 23 professeurs en médecine, dont des enseignants, d'anciens et nouveaux doyens de facultés de médecine. Nous avons aussi demandé a certains de nous faire part des arguments qui plaident en faveur de cette durée ou l'inverse. Les résultats obtenus font état d'une écrasante majorité de professeurs en médecine et professionnels de santé qui jugent cette période de formation de 6 ans suffisante. Certains ont jugé que cette durée est une arme à double tranchants, mais qui peut avoir plus de côtés positifs, si on s'oriente vers une formation de qualité. D'autres jugent que les sciences fondamentales prennent un volume horaire trop long au premier cycle comme la biochimie, la biophysique, la chimie organique. Certaines matières sont trop détaillées comme l'anatomopathologie. Pour ces derniers, 6 années de formation sont suffisantes à condition d'avoir un très bon encadrement et des outils pédagogiques sur les terrains de stages en milieu hospitalier qui doivent débuter en 2e année. 6 ans de formation, n'est pas une question de durée d'étude, mais plutôt de méthode pédagogique appropriée, avec les outils appropriés. Tout en approuvant la révision de la période de formation en médecine, et en jugeant adéquat de la réduire à 6 ans au lieu de 7 ans , d'autres professeurs-enseignants émettent certaines conditions, dont l'argument principal est l'accélération des réformes. Il y a aussi ceux qui restent septiques, qui souhaitent que les décideurs prennent plus de temps. Il faudra faire un bentchmaking des grandes facultés pour avoir une première idée. Par ailleurs, la médecine évolue les connaissances plus approfondies, le citoyen est plus exigent en termes de service, la société est plus exigeante pour une meilleure maîtrise de la profession et éviter des dépenses de santé inutiles et coûteuses. Ces éléments ne sont pas en faveur de la réduction à 6 ans. Pas du tout d'accord, sauf si on instaure une spécialité de médecine générale et de famille de trois années pour améliorer les connaissances de nos médecins généralistes. Réduire à 6 ans peut se faire sur les délais de soutenance et les durées de stages en périphérie que réellement sur la formation théorique et pratique dans les centres hospitaliers universitaires. Les arguments diffèrent d'un professeur à un autre. Pour un professeur aujourd'hui à la retraite, la durée de formation (six ans) proposée me paraît en adéquation avec le contenu dispensé actuellement. La diminution du nombre d'années doit être instaurée simultanément avec la révision du programme de formation. Une phase transitoire de 10 à 15 ans doit être inscrite dans l'agenda du législateur (pour permettre au pays d'avoir suffisamment de médecins généralistes). Réduire à 6 ans au lieu de 7 ans la formation des médecins généralistes, recueille aussi des avis favorables de professeurs en médecine connus et reconnus pour leurs grandes compétences et expertises. Pour ces derniers, c'est un oui, mais sans compromettre la qualité, avec les moyens d'apprentissage par simulation.