Mohamed Nait Youssef Le 10 janvier, Journée Arabe du Théâtre, est une date importante dans le calendrier des comédiens, des metteurs en scène et des créateurs arabes. C'est aussi un temps fort pour célébrer le père des arts et dresser le bilan de l'action théâtrale dans les quatre coins du monde arabe. A cette occasion, et comme le veut la tradition, une lettre est adressée cette année par « Arab Theatre Institute » placée sous le signe « La vie est un théâtre, le théâtre est une vie.» En effet, c'est sous la plume de l'artiste libanais Rafiq Ali Ahmed que cette lettre a été rédigée, démontrant la nécessité et l'urgence du théâtre dans un monde envahit par la technologie et la mondialisation. «Aujourd'hui, plus que jamais, le théâtre est devenu une nécessité urgente. A l'heure de la communication numérique imposée par le développement technologique inouï, le théâtre nous garantit un lieu de rencontre par excellence, où le public interagit dans un sens vertical, avec les acteurs sur scène, mais aussi et surtout dans un sens horizontal, entre le public lui-même, à la sortie de la salle, emporté par la connivence des idées et des questions.», peut-on lire dans la lettre. Et d'ajouter : «Cette nécessité est aussi accentuée par le contexte de la mondialisation sauvage et niveleuse, qui tend à uniformiser les cultures, afin de rendre notre planète un grand bazar où l'être humain se mesure à son pouvoir d'achat au lieu de son intellect et de sa créativité. A l'ombre de cette réalité mercantile, le théâtre se dresse à la fois comme un rempart contre ce flux ravageur et une enceinte ouverte à tous les arts, les sciences et les techniques, tout en préservant les valeurs humaines qui forment son essence même et renferment le secret de sa pérennité.» Les temps sont durs pour les créateurs En ces temps froids où les crises coupent les communications, le théâtre et les arts construisent des passerelles de dialogue, d'échange entre les peuples, un peu partout dans le monde. «Là où le dialogue entre gouvernements et Etats échoue, le théâtre prend la parole pour se porter comme un modèle dialogique et polyphonique dans tous les sens et entre tous les acteurs du jeu dramatique (dramaturge, réalisateur, acteurs, public).», affirme Rafiq Ali Ahmed. Ceci dit, a-t-il ajouté, le défi est de taille, notamment dans la conjoncture de crise que traverse le théâtre à l'échelle mondiale. Le théâtre, quant à lui, n'a pas échappé aux vents durs des crises à la fois sociales, politiques et sécuritaires. «Une crise encore plus tragique dans le contexte du théâtre arabe, qui vit sous le joug des malheurs politiques, économiques et sociaux. Toutefois, cette question de crise me conduit paradoxalement à poser la question suivante : Mais quand est-ce que le théâtre arabe n'a pas été en crise ?», s'est-il interrogé. Réconciliation du public avec les planches... Dans la lettre, l'artiste libanais a pointé du doigt sur la relation existante entre le théâtre et public. Une relation mitigée et instable. Bref, il s'agit d'une crise entre l'action théâtrale et le public. « En réalité, les causes qui ont écarté le public du théâtre sont multiples. Certaines concernent la réalité générale que nous vivons, mais d'autres concernent aussi les acteurs même de cet art. Si les productions théâtrales représentent en principe le miroir de la société, les enfants de nos sociétés ne s'y reflètent pas. », a-t-il affirmé. Selon lui toujours, cette aliénation que nous subissons est due à l'imitation des styles occidentaux dans l'avidité de la célébrité et la convoitise des trophées. D'après ses dires, il s'agit également d'une pratique devenue une mode au nom du modernisme et de la modernité où, malheureusement, les festivals de théâtre arabe qui se prétendent «élitistes», encouragent ces usages dans une absence totale du public, d'ailleurs pour lequel le théâtre même a été créé. « Certains dramaturges disciples de cette tendance iront jusqu'à dire que le public est contre le théâtre et le théâtre est contre le public ! », a-t-il fait savoir. Les maux du théâtre arabe... La censure, manque de moyens matériels, l'absence continue de l'éducation artistique et théâtrale dans les programmes scolaires sont, entre autres, les défis auxquels fait face le théâtre arabe, précise Rafiq Ali Ahmed. «La plus grande calamité est la censure sur le théâtre qui persiste toujours, tel un dragon à plusieurs têtes, dont chacune représente les hommes de la politique, de la religion ou d'autres, qui se dressent en obstacle infranchissable devant un seul homme, l'homme du théâtre, dans telle ou telle ville, sur telle ou telle scène, pour lui mettre les bâtons dans les roues. », a-t-il indiqué. L'espoir est toujours là en s'ouvrant sur les jeunes. Pour ce faire, le théâtre arabe a besoin plus que jamais de nouvelles visions, approches et pratiques théâtrales. «Nous voulons nous réconcilier avec notre jeunesse, à travers un théâtre simple, mais pas simpliste. Un théâtre qui nous permettrait de voir l'image de notre société et qui soit une lueur d'espoir au bout du tunnel de l'intégrisme dans toutes ses formes, un théâtre qui fait face au fanatisme aveugle et à la grandissante haine de l'être humain à l'égard de son égal, ainsi que tout ce que cette ténébreuse réalité produit comme désastres irréparables et irrémédiables.», conclut-il.