Ce dimanche et après la quasi-disparition des partis traditionnels et modérés – Démocratie chrétienne et Parti socialiste – qui ont gouverné le Chili après la chute de la dictature mais qui furent contraints de faire profil bas après la révolte sociale d'Octobre 2019 contre un système économique jugé trop libéral où les inégalités sociales sont restées très importantes, le deuxième tour de l'élection s'est joué entre deux projets sociaux et économiques diamétralement opposés. Ceux-ci étaient représentés, d'un côté, par José Antonio Kast, 55 ans, candidat d'une coalition souvent qualifiée d'extrême-droite, ayant recueilli 28% des suffrages exprimés lors du premier tour du 21 novembre dernier auquel avaient participé 47% des électeurs et se revendiquant de l'héritage d'Augusto Pinochet et, de l'autre, par Gabriel Boric, 35 ans, ex-leader étudiant sorti de l'ombre lors du soulèvement social de 2019. Soutenu par une coalition comprenant des modérés et des radicaux dont le Parti Communiste, ce jeune candidat de gauche avait obtenu 26% des voix au premier tour. Au cours de ce second tour qui s'est déroulé ce dimanche, 15 des 19 millions de Chiliens ont été appelés à voter pour désigner, parmi deux candidats aux projets de société très éloignés l'un de l'autre, le successeur de Sébastian Pinera. Aussi, au terme d'un scrutin qui a connu un taux de participation de plus de 55% – un record historique – alors que, lors du premier tour, seuls 47% des électeurs avaient pris le chemin des bureaux de vote, la victoire est revenue à Gabriel Boric, qui a recueilli 55,87% des suffrages exprimés et qui fut le chef de file des manifestations étudiantes de 2011 qui réclamaient une refonte totale du système éducatif et qui avaient débouché sur la rédaction – toujours en cours à l'heure qu'il est – d'une nouvelle Constitution appelée à remplacer celle léguée par Pinochet. Mais en accédant à la magistrature suprême du Chili, ce jeune candidat de la gauche progressiste n'a pas, pour autant, fermé la porte à l'extrême-droite puisqu'en ne disposant pas de la majorité requise, il sera tenu, comme l'a déclaré Miguel Angel Lopez, enseignant à l'Université du Chili, d'utiliser « un discours fort pour tenter de mettre fin à l'incertitude » car si une partie de l'électorat souhaite une réforme du modèle économique, l'autre privilégie, pour sa part, une ligne politique très dure notamment contre la criminalité et l'immigration. Autant de raisons qui vont pousser les « investisseurs internationaux (à) être très attentifs » aux décisions que prendra le nouveau président chilien, après son entrée en fonction le 11 mars prochain, et aux nominations auxquelles il procèdera. Mais il y a lieu de reconnaître, tout de même, que, dès l'annonce officielle de sa victoire, le nouveau président du Chili, Gabriel Boric, a été félicité par les chefs d'Etat d'Argentine, du Nicaragua, du Mexique, de Cuba, du Pérou, du Venezuela, de Colombie, de l'Equateur et de l'Uruguay mais aussi par Lula, l'ancien président du Brésil, et par le chef de la diplomatie européenne Josep Borell qui, dans un message en espagnol, lui a présenté les félicitations de l'Union européenne « pour son élection en tant que futur président du Chili » et formulé le souhait de « pouvoir renforcer » les relations entre l'UE et « le futur gouvernement du Chili ». Avec la venue d'un jeune militant progressiste aux commandes de l'Etat et l'entrée en vigueur d'une nouvelle Constitution, le Chili va-t-il parvenir à enterrer, une fois pour toutes, l'héritage bien lourd des seize années (1973-1990) de la dictature d'Augusto Pinochet ? Attendons pour voir... Nabil EL BOUSAADI