Par Abdelhak Najib Le Hangar met à nu les magouilles des êtres monstrueux qui prétendent à l'amour de l'art et à l'entretien des artistes (« élevage des artistes »). Le collectionneur, protagoniste du roman, part à la recherche des artistes soit oubliés soit invisibles au sein de la société des hommes, les guette tel un prédateur et les enfonce dans l'abîme sans pour autant leur révéler ses intentions sadiques et égocentriques. Paru chez Orion Edition, Le Hangar (200 pages) est le deuxième roman de l'écrivain et poète marocain Mounir Serhani, auteur d'une dizaine d'ouvrages. Un roman déconcertant, déstabilisant et subversif. Rien n'y est gratuit, car tout se dirige vers l'apocalypse de l'art et la décadence des artistes incessamment cloués au pilori. L'histoire se passe à Rabat : il s'agit d'un collectionneur des œuvres d'art imbu de lui-même et fier de ses prouesses. La mégalomanie, le diabolisme, le cynisme, la culpabilité, le désenchantement... Tout se vit sous le signe de l'obsession et de l'exhibition dans un lieu dédié exclusivement à l'art : le hangar. La vie du collectionneur tourne autour de la toile, de la couleur et de l'artiste fidèle à son maître qui adule ses œuvres d'art achetées, commandées ou encore usurpées. C'est « un collectionneur obsessionnel. Tout va bien pour lui. Tout le monde admire cet homme. Sauf peut-être quelques personnes qui le connaissent particulièrement, à commencer par lui-même », écrit Jean-François Clément. De son côté, Mounir Serhani pense avoir réussi son chalenge personnel : « faire du roman un lieu à la croisée des disciplines et des arts ». « En effet, Le Hangar défend les artistes et incrimine ceux qui les instrumentalisent, à savoir les marchands d'art qui vampirise un domaine aussi beau que sublime. Mon roman est écrit à même la douleur d'être artistes, encore vivant. J'espère que les lecteurs y voient une réhabilitation de ces êtres tragiquement affaiblis par l'impitoyable machine d'un commerce machiavélique, voire sans scrupules ! », nous confie le romancier. Le Hangar est un cri contre l'arnaque misanthropique et la magouille infaillible des collectionneurs et le paraître factice des galeristes faisant fi du Beau au profit de « la banalité du Mal ». L'arbre-taureau de l'artiste peintre Karim Marrakchi dit la démence d'un monstre qui se montre : véritable triller, le collectionneur est le long du roman mu par l'unique désir d'accumuler les toiles, quitte à en tuer les auteurs, pour reporter sa mort imminente ou peut-être son propre suicide. Presque tout le roman est consacré à percer la complexité de la psychologie d'un collectionneur. Le romancier réalise une œuvre colossale fondée sur un logn monologue juché de rétrospections et de projections. Le collectionneur tient un discours mégalomane à la première personne puisqu'on est censé lire son journal intime. Nous décourirons vers la fin du roman qu'il s'agit d'un manuscrit à publier à titre posthume. Monsieur Yacoubi est le héros de l'histoire et se montre d'ores et déjà à même de distinguer le regard que les autres portent sur lui de son regard personnel qui s'établit à deux niveaux, celui d'une conscience superficielle, et celui d'une psychanalyse bien plus profonde, une malice n'épargant personne et un esprit cultivé qui scrute le for intérieur. Il y est question d'un collectionneur effréné, puisque celui-ci possède dans la fiction proposée, des milliers d'œuvres. Le chiffre est son bonheur fétiche qui le hante jour et nuit. Il se nomme M. Yaacoubi, le collectionneur qui taxe ses confrères de collecteurs (notons la connotation purement péjorative et dévaluante). D'ailleurs, dans la réalité, aucun collectionneur marocain n'a porté ce nom, néanmoins connu dans le champ de l'art par deux peintres, Lotfi Yaboubi et surtout Ahmed Yacoubi qui fréquenta Francis Bacon. À aucun moment, ce collectionneur ne se définira par un prénom. Son identité demeure qui plus est générale et quasiment anonyme. Ce collectionneur passe son temps à nous brosser le portrait d'un bon collectionneur ; un passioné d'art digne de ce nom et à nous dire ce qu'est un collectionneur, par exemple par rapport à un galeriste ou par rapport à des critiques d'art ou encore par rapport à des amateurs qui se sont emparés d'un méteir qui n'admet que des élus, des âmes douées pour cette noble mission ! La fiction sert à percer le mystère ainsi que les raisons qui font qu'un homme puisse accumuler un aussi grand nombre d'œuvres d'art. Un homme à qui la vie a tourné le dos se contente la sodomiser, pour reprendre son expression aussi obscène que brutale. Effectivement, tous ses propos sont d'ordre frontal car il a toujours envie de se différencier des autres et de se connaître davantage. Nous l'avons déjà signalé, Mounir Serhani menait l'histoire, dans son premier roman, petit à petit, mais cette-fois-ci le romancier donne corps dès la première page à l'histoire, c'est-à-dire que, dans ce second roman, les thèses sont exposées d'emblée et le lecteur est a priori averti et entièrement informé. Le collectionneur nous fait penser à la figure du monstre qui prend plaisir à sans cesse démolir son identité telle qu'elle existe dans le regard des autres. Pis encore, il s'adonne à une autodestruction qui débouche implacablement sur un moi dysphorique qui se dévore dans le miroir de Narcisse. Le collectionneur est, en effet, totalement étranger aux œuvres d'art qu'il amoncelle et surtout à leurs qualités. Seule compte pour lui la quantité et le chiffre. Le collectionneur se dit d'emblée étranger à l'idée de beauté. Seuls comptent pour lui l'encadrement des œuvres (il a fait sa formation chez un encadreur de la médina de Rabat) et la rigueur de leur rangement. Le collectionneur prétend haïr les théories et les présomptions académiques. Par cette affirmation posée a priori, il évite tout regard des autres. Le groupe social le répugne et autrui n'est à ses yeux soit une victime soit une déception. Seul son propre regard peut, prétend-il, avoir un caractère de vérité. Cette mégalomanie est à la fois source de satisfaction et catalyseur de mise à mort. Le collectionneur se définit par rapport aux autres collectionneurs qu'ils nomment, d'un terme méprisant, les « collecteurs ». La différence entre ces deux notions serait que le collectionneur aurait une stratégie. Mais une autre différence s'impose : le collectionneur prend soin de « ses artistes » en les écoutant dans des étreintes d'apparence tendre et duce. Du coup, l'ambivalence est le maitre mot qui sied à ce portrait double, ouaté, rétif à toute tentative de définition. Il estime aussi que les œuvres d'art n'ont pas de valeur intrinsèque puisqu'elles ne valent que par la compétition des désirs de ceux qui souhaitent les acquérir. Seul le prix, le métal brillant, saura valoriser le beau. Il faut savoir vendre, tout vendre, même cette toile de « merde » impossible à défendre. Voilà ! La force d'un tel être de paroles réside dans son pouvoir rhétorique et sa faculté de persuader, comme s'il détenait une puissance à même d'hypnotiser les autres, si prudents soient-ils ! Le hangar. Aux Editions Orion. 200 pages.