A chaque reprise des indicateurs épidémiologiques du Coronavirus nous assistons à une floraison de jugements à l'emporte-pièces exprimés par une société civile et ses réseaux sociaux, où fusent les mots : irresponsabilité, manque d'éducation, absence de valeurs citoyennes, .... Une sorte de lynchage médiatique engagé sans tenir compte des ressorts culturels et cultuels qui déterminent les comportements visés. Parallèlement à ces pics réactifs, une communication institutionnelle en boucle portant sur des messages de sensibilisation inspirés «des meilleures pratiques en la matière» qui adopte un langage trop uniforme pour une société où les perceptions sont beaucoup plus nuancées qu'elles n'y paraissent. Déjà six mois après l'apparition des premiers cas du Coronavirus au Maroc ni les pics de réactions 2.0 ni la communication institutionnelle de crise ne semblent porter leurs fruits. Les seuls changements de comportements significatifs ne se manifestent que lors de l'utilisation de la force publique. Or, celle-ci nécessite une dépense d'énergie considérable tant humaine que financière qui ne peut durer indéfiniment. Il est donc indispensable d'élaborer une stratégie de communication de crise visant l'intégration par nos concitoyens des nouvelles valeurs et une nouvelle culture prophylactique. Cette approche de stratégie est d'autant plus nécessaire que la pandémie actuelle est loin de s'essouffler et que rien ne nous garantit qu'elle sera la dernière. Toute stratégie trouve son essence dans son osmose avec le champ dans lequel elle opère. Celle que nous proposons cherche à impacter les attitudes individuelles et collectives comme expression d'arbitrages sous-jacents aux choix comportementaux face à la menace du Coronavirus. Influencer ces arbitrages comme principaux leviers à travers lesquels se déploient les plans de communication de crise ne peut s'opérer hors de leur cadre environnement culturel et sociétal qui en constituent les fondamentaux. S'inscrire dans ce cadre pour agir est indispensable pour que les messages aient un signifié pertinent pour les populations ciblées en bref pour que tout message dit quelque chose à celui qui le perçoit et que ce dernier lui donne une sens et agit en conséquence. Pour mener à bien cette réflexion, nous procéderons donc à travers les trois séquences suivantes: 1. Cadrer sa stratégie 2. Identifier et agir sur les principaux leviers comportementaux 3. Intégrer l'action au cadre des fondamentaux Cadrer sa stratégie 1. Les attitudes face à la crise pandémique : une question d'arbitrage Les attitudes individuelles ou collectives expriment toutes les deux une rationalité quel que soit le niveau d'éducation ou de revenu des individus. Elles trouvent leurs racines dans les arbitrages personnels ou collectifs entre deux catégories de risque: * «Risque cible» c'est-à-dire le risque de subir un impact probable en l'occurrence celui d'une contamination par le Coronavirus ; et * «Risques concurrents» qui renvoient aux risques liés tels perdre des avantages concrets ou de supporter des coûts supplémentaires d'une situation concrète. Par exemple perdre un revenu, relâchement des relations sociales indispensables... Des «risques concurrents» trop élevés neutralisent les efforts pour éliminer le «risque cible». Par conséquent ils empêchent d'atteindre l'objectif principal de la planification épidémiologique. Le «risque cible» peut-être individuel (être atteint du virus) ou collectif (limiter la propagation de la pandémie). L'un est une agrégation de l'autre. Il y va de même pour les « risques concurrents». * Agir par une démarche intégrée S'agissant des individus, la communication de crise vise à sensibiliser sur les handicaps personnels et familiaux générés par le virus à combattre et la nécessité d'accepter personnellement les efforts demandés. Concernant la collectivité, la communication de crise doit porter sur les conséquences économiques, financières et sociales consécutives à une propagation non maîtrisée de la pandémie. Elle doit amener l'individu à assumer doublement ses responsabilités en opérant un double arbitrage : celui en rapport avec sa situation personnelle et celui relatif à son appartenance à la collectivité nationale. Cette double articulation est la condition indispensable à toute participation des populations à la réussite des plans de lutte contre la pandémie du Coronavirus. Elle permet une passerelle entre les risques individuels concurrents et le risque collectif cible. C'est-à-dire une nonchalance face au virus entraine une pandémie non maîtrisée qui aggrave la situation économique donc la perte des avantages individuels acquis. Ainsi chacun est mis clairement devant ses responsabilités! *(Docteur en économie de la santé de l'Université de Grenoble) Demain: Identifier et agir sur les principaux leviers comportementaux