Parents d'élèves & écoles privées Le différend entre les parents d'élèves et les écoles privées a pris, durant les dernières semaines, une tournure dramatique. Les échanges virulents et vénéneux sur les réseaux sociaux ont entièrement décimé les très fragiles liens de confiance entre les deux parties à cause de l'entêtement des patrons des écoles d'ouvrir un dialogue avec les parents d'élèves. Ces derniers réclamaient une réduction sur les frais de scolarité du 3e trimestre et sur les frais de réinscription, mais pas seulement. Certains parents ont pu, à l'occasion du confinement, s'arrêter de près sur le vrai niveau scolaire de leurs enfants. «Je suis tombée des nues en découvrant que ma fille qui parlait très bien le français était incapable d'aligner une phrase en écrit », regrette cette maman dont la fille de 9 ans est inscrite depuis 6 ans dans une école relevant de la mission française. Pour elle, il s'agit de la plus grande arnaque de sa vie. «Nous avons saigné pour assurer à nos enfants une formation de qualité, mais nous nous sommes rendu compte qu'il n'en était rien. Durant, le confinement, nous avons découvert qu'elle n'a pas le niveau du CE1. Après trois ans de maternelle et trois ans d'études primaires, notre fille ne maitrise ni l'arabe, ni le français, ni les notions de base des mathématiques. Aujourd'hui notre décision est prise, nous allons revenir à l'enseignement bilingue jusqu'au lycée et chercher un établissement public». L'amertume de cette mère et les conclusions qu'elle a tiré de cette crise sanitaire sont partagées par de nombreux pères de familles, qui en l'absence d'association de parents d'élèves, presque inexistante au sein des écoles privées, se sont organisés dans des coordinations formées sur les réseaux sociaux pour préparer leur riposte devant l'intransigeance des patrons des écoles privées. La situation a vite dégénéré, notamment après l'annonce du ministre de l'Education nationale, Said Amzazi, de rester à l'écart de ce différend. Une position qui lui a attiré les foudres des parents d'élèves et d'une partie de l'opinion publique et des médias. Car au lieu de prendre des décisions tranchées et d'imposer une issue juste et équitable, le ministre et le gouvernement se sont contentés d'un rôle de médiateur spectateur sous prétexte des lacunes des textes législatifs. Les députés d'une part, les juristes et les parents ont vite démantelé les arguments d'Amzazi et l'ont contraint enfin d'agir. Ce dernier a annoncé en effet devant les députés de la Commission de l'enseignement, de la culture et de la communication qu'un amendement régissant ce secteur sera présenté le 17 juillet prochain à la Commission ministérielle chargée du suivi et de la mise en œuvre de la loi-cadre de l'éducation et de la formation, exprimant par la même occasion, sa volonté de réguler ce secteur. Lors de son intervention devant la Commission de l'enseignement, de la culture et de la communication, le ministre de l'Education nationale, Saïd Amzazi, a déclaré qu'un nouveau projet de loi régissant le secteur de l'enseignement privé est en cours d'élaboration. Ce dernier, qui devrait être présenté lors de la prochaine session d'automne au Parlement, prévoit la classification des établissements de l'enseignement privé selon leur taille, leurs équipements et le standard des services proposés (transport, restauration, activités parascolaires, enseignement des langues...). C'est sur la base de ces données que seront fixés les frais de scolarité et d'assurance. Le ministre a souligné que l'amendement de la loi 06-00 régissant le secteur scolaire privé figure dans l'agenda de mise en oeuvre de la loi cadre de l'Education et de la Formation. Le ministre s'est également arrêté sur les frais exorbitants d'assurances exigés par les écoles, soulignant que ces derniers ne devraient pas dépasser la somme de 50 dirhams. Il en a profité pour annoncer son engagement à imposer le principe de transparence. Les parents pourraient être contraints de payer les mois de vacances scolaires des salariés de l'institut. Aujourd'hui, ces mois sont dissimulé dans les frais de réinscription qui représentent généralement l'équivalent de deux mensualités. Le ministre qui avait appelé les parents dont le revenu n'a pas été touché pendant la crise sanitaire à payer les frais de scolarité des mois du confinement aux écoles privées pour qu'elles puissent verser les salaires aux enseignants qui ont, selon lui, déployé des efforts considérables pour assurer l'enseignement à distance. Non à la migration massive vers le public Devant l'appel de certains parents d'élèves à une migration massive du privé vers le public, Saïd Amzazi a rétorqué qu'elle ne doit pas avoir lieu, puisque l'enseignement privé représente plus de 14% des élèves marocains, soit plus d'un million et 40.000 enfants, et que l'école publique n'est pas prête aujourd'hui à absorber des effectifs aussi importants. Cette déclaration a été longuement commenté par les juristes, qui n'ont pas eu beaucoup de mal à défaire les déclarations du ministre. Dans une tribune libre, publié sur le site médias24, Bilal El Mahfoudi, Avocat au barreau de Rabat, affirme que «l'enseignement fondamental est un droit de l'enfant et une obligation de la famille et de l'Etat», conformément aux dispositions de l'article 32 de la Constitution du Royaume du Maroc qui consacre le caractère obligatoire de l'accès des enfants à l'enseignement. «Ce droit étant garanti par le texte suprême de la nation, ne peut faire l'objet d'aucune dérogation ni limitation, aussi subtiles soient-elles et quelles que soient ses circonstances». S'interrogeant sur les garanties juridiques pour les parents d'élèves, Maitre Bilal El Mahfoudi, écrit que « certaines écoles refusent la réinscription des élèves à la prochaine année scolaire. Les parents d'élèves commencent d'ores et déjà à se constituer en collectifs et sollicitent des professionnels du droit afin d'obtenir un conseil juridique et connaître les possibilités de recours. Quel est donc le cadre juridique de cette nouvelle situation? D'un point de vue institutionnel, l'Etat exerce un pouvoir de tutelle sur les établissements privés qui, en autorisant leur exercice, les soumet à plusieurs conditions d'accès à ce service. La loi 06.00 portant statut des établissements d'enseignement privé, énonce à ce titre plusieurs conditions et critères auxquels les établissements privés doivent se conformer sous peine de retrait de leur autorisation d'exercer cette activité. Cette situation similaire à la gestion déléguée d'un service public ne pourrait-elle faire appel à une responsabilité administrative ? C'est une question que l'appareil judiciaire nous révélera sûrement dans un futur proche », conclue Maître El Mahfoudi.