Décret Télétravail dans les Administrations publiques Mohamed Oueld Lfadel Ezzahou Depuis que la propagation de la Coronavirus, le télétravail est devenu la nouvelle norme. Du jour au lendemain, des milliers, voire des millions de salariés et fonctionnaires ont été contraints de travailler à partir de la maison. Ils ont été lancés précipitamment dans cette nouvelle aventure avec peu ou pas de préparation.Avec la Covid-19 et afin de limiter la propagation du coronavirus, les entreprises et les administrations publiques se sont trouvées trouvés obligés d'organiser le télétravail ou le travail à distance lorsque cela est possible. Au Maroc, dans ces circonstances exceptionnelles de la Coronavirus, le Gouvernement, à travers le Ministère de l'Economie et des Finances et de la Réforme Administrative (MEFRA), a envoyé la circulaire 03/2020 en date de 15/04/2020, aux différents départements ministériels pour les exhorter à organiser le télétravail pour prévenir de la contamination par la Covid19. Il a aussi élaboré un guide de télétravail dans les administrations publiques. Aujourd'hui, un projet de décret n°2.20.343, relatif au travail à distance au sein des administrations publiques est mis dans les circuits. Avons-nous besoin du télétravail dans notre administration publique actuelle, pour quelle opportunité et quelle utilité ? Faut-il le règlementer ? Pourquoi ce texte plutôt que d'autres chantiers déjà ouverts non encore achevés ? Quel impact sur la qualité du service public ? Avec une telle fonction publique et avec les moyens dont elle dispose, ne serait-il pas judicieux d'orienter les efforts et les énergies vers des questions plus pertinentes que sur un fait occasionnel ? Ne faut-il pas se contenter du guide déjà distribué ? Où on est le législateur, le fonctionnaire, les syndicats et le conseil supérieur de la fonction public ? Autant de questions que nous nous proposons d'y apporter des éléments de réponse dans ce qui suit. 1-Le Télé Travail dans le secteur Public : Télé fonctionnariat, Choix ou Nécessité ? Le télétravail consiste à travailler habituellement un certain nombre de jours par semaine hors des locaux de son entreprise ou de son administration en utilisant les technologies de l'information et de la communication. Ce mode de travail a des avantages dont les plus souvent cités sont l'économie de temps, de fatigue et de frais de transport, souplesse dans l'organisation des tâches personnelles, l'économie d'énergie, d'espace de bureaux, donc réduction d'investissement d'immobilier et de frais locatifs ;une facilitation d'aménagement du territoire, moins de pollution due aux déplacements professionnels, l'accès au travail de personnes handicapées ou atteintes d'une maladie chronique.Cependant, le télétravail engendre des risques professionnels particuliers : à savoir, les risques physiques tels que : l'isolement du télétravailleur qui peut amplifier en fréquence et en gravité tous les risques inhérents à un travail de bureau, les risques de pathologie auditive, de troubles visuels et musculo-squelettiques.Quant aux risques psychosociaux, il s'agit entre autres, de la perte des limites entre vie professionnelle et privée, stress lié à des contrôles ou objectifs excessifs, affaiblissement des relations interpersonnelles, frein à la progression de carrière si le management est lacunaire, défectueux. Pour le salarié ou l'agent, le télétravail peut être catastrophique pour la santé et la carrière lorsqu'il sert, en réalité, à placardiser des agents ou salariés compétents. La lecture des expériences internationales montre que certains pays étaient «Mieux préparés » lorsqu'ils ont dû mettre en place de façon massive le télétravail, soit parce qu'il était déjà bien ancré dans leur culture administrative, soit parce que les applications et outils numériques étaient conçus en intégrant cette dimension de télétravail. Ainsi, en France 7% des salariés du privé sont en télétravail, il est pratiqué essentiellement par les cadres et les femmes et surtout dans les domaines des nouvelles technologies d'information et la communication. Dans le secteur public, le Gouvernement néerlandais verse au fonctionnaire en télétravail une allocation qui se compose d'une compensation mensuelle de 80,23 euros pour utilisation de l'espace personnel ainsi qu'une prime d'équipement matériel de 1 815 euros par période de 5 ans, ces montants sont défiscalisés. L'administration finlandaise, quant à elle, déjà dotée d'un accord national sur le télétravail, a lancé en 2019 le projet «Työ 2.0» (travail 2.0), dont la ligne directrice est «l'important n'est pas où le travail est fait, mais ce qui est fait», l'Etat s'efforce d'offrir à ses employés les mêmes possibilités que le secteur privé. En Belgique, et par crainte de perdre le lien social, l'administration fédérale a ouvert des «bureaux satellites», pour permettre aux personnes ne pouvant travailler de chez elles d'avoir accès à un travail à distance. Au Canada, avec projet «GotravailGC», plusieurs sites ont été aménagés et équipés, permettant le travail individuel ou collaboratif, l'organisation de réunions, avec la convivialité. 2-La fonction publique marocaine : Une comorbidité diagnostiquée par la Cour des Comptes Selon le Rapport sur les ressources humaines 2020 publié par le MEFRA, la fonction publique civile marocaine comptait en 2019 un effectif de 564.549 fonctionnaires, ajoutant à ce chiffre, les établissements publics qui comptaient environ 129545 agents (données 2016) et les collectivités territoriales avec 147.637 fonctionnaires (Données 2014). En plus des déséquilibres dans le déploiement territorial, l'effectif du personnel civil de l'Etat est concentré dans un nombre limité de départements.Ainsi, plus 81% des effectifs sont concentrés au niveau de Trois départements ministériels ; l'Education Nationale avec (48,6%), suivi des départements de l'Intérieur (23,6%) et de la Santé (9,5%). Dans un rapport dédié à la fonction publique, de plus de 200 pages et publié en 2017, la Cour des Comptes avait fait un diagnostic des maux dont souffre notre fonction publique. Il s'agit, notamment de la faible qualité du service public malgré l'importance des moyens, de l' absence d'une culture d'évaluation de la qualité des prestations publiques, du manque d'exploitation des projets de simplification des procédures administratives (malgré la présentation d'une CIN biométrique, certaines administrations continuent d'exiger du citoyen un ensemble de documents administratifs comme l'extrait d'acte de naissance, le certificat de résidence, de nationalité, de vie…),d'une Gouvernance classique de la GRH dans les départements ministériels, d'une formation continue sans objectifs pratiques, d'un système de rémunération dépassé, d'un système d'évaluation déconnecté de sa finalité et de l'absence de données fiables sur le temps effectif de travail. Est-ce qu'avec une fonction publique qui, selon la Cour des Comptes ne maitrise pas la variable du temps effectif du travail et dans les constats des auditeurs dans ce sens sont alarmants : «La durée effective dans la fonction publique demeure mal connue, des durées de travail effectives très variables dans l'ensemble des administrations publiques, la charge horaire réglementaire n'est pas accomplie d'une façon homogène, pour le personnel de l'Education nationale, les absences enregistrées en 2016, par exemple, avaient atteint un total de 406 890 jours, une part importante d'enseignants (90% des enseignants du cycle secondaire qualifiant et 74% du cycle secondaire collégial) n'assument pas la charge horaire qui leur est impartie, pour le secteur de la Santé,en moyenne, 42% du temps de travail du corps médical n'est pas exploité à cause des absences, dans les autres administrations publiques, la durée de travail, fixée à 37,5 heures par semaine, n'est en général pas observée rigoureusement». Au niveau des collectivités territoriales, et avec un effectif de 147 637 fonctionnaires (en 2014), le personnel est concentré essentiellement au niveau des communes avec plus de 82%, la fonction publique territoriale ne dispose pas toujours de ressources humaines qualifiées pour assurer les missions qui lui sont assignées connait une inadéquation entre les ressources humaines dont elle dispose et les missions qui lui sont assignées. Avec une structure dominée par le personnel d'exécution, la question se pose quant à la capacité de ces collectivités à s'acquitter des missions qui pourraient leur être confiées dans le futur. Avec une telle fonction publique, qui souffrent de ces maux mariés avec des systèmes d'information, s'ils existent, mal conçus et/ou peu exploités, avec un mode de management personnalisé, basé sur la rente syndicale, le clientélisme, avec le phénomène des fonctionnaires fantômes, le projet de décret devrait-il avoir lieu ? Est-ilopportun, utile et d'actualité ? Notre secteur public n'est il pas «Le Monsieur » dans le célèbre proverbe marocain : «Tu as besoin de quoi Monsieur le nu? – j'ai besoin d'une bague Monsieur».