Le débat constitutionnel, juridique et politique, suscité par l'article 9 de la Loi de finances 2020, se poursuit et continue de faire couler beaucoup d'encore, de provoquer des réactions, de susciter des polémiques et de mettre à rude épreuve la coalition gouvernementale. Celle-ci, qui devait en principe défendre son projet, s'est divisée autour de l'article en question dans le circuit législatif. A ce propos, l'abstention des conseillers du parti de justice et de développement (PJD), lors du vote de la loi au niveau de la deuxième chambre, est politiquement très significative quant à la nature de la majorité, à son fonctionnement et à sa gouvernance. C'est ainsi que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif se sont retrouvés sous les feux de la critique. Comment une coalition gouvernementale propose une loi, la valide au niveau de son Exécutif et ne parvient pas à convaincre ses parlementaires pour la voter au sein de l'Hémicycle? Comment parviendra-t-elle alors à convaincre l'opinion publique de la justesse de cette disposition ? Surtout que «le troisième pouvoir», directement concerné par cette loi, la justice, est entré sur la ligne des débats. Une première. D'ailleurs, les avocats, dont des anciens bâtonniers, ont vivement réagi, pointant du doigt cette disposition qui ne cadre pas avec l'esprit de la Constitution. Les magistrats, à travers leur association, «le Club des magistrats du Maroc», sont également montés au créneau pour dénoncer le contenu de cet article. Les deux catégories professionnelles y voient une atteinte à l'image de la justice et à son indépendance par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif. De plus, l'inconstitutionnalité de la disposition en question est soulevée puisqu'elle va à l'encontre de l'article 126 de la Loi fondamentale qui stipule que «les jugements définitifs s'imposent à tous. Les autorités publiques doivent apporter l'assistance nécessaire lorsque celle-ci est requise pendant le procès. Elles sont également tenues de prêter leur assistance à l'exécution des jugements». De même, l'article 9 de la Loi de finances 2020 n'est plus dans l'esprit de la constitution puisqu'il ne cadre pas avec l'article 6 qui stipule que «La loi est l'expression suprême de la volonté de la Nation. Tous, personnes physiques ou morales, y compris les pouvoirs publics, sont égaux devant elle et tenus de s'y soumettre. Les pouvoirs publics œuvrent à la création des conditions permettant de généraliser l'effectivité de la liberté et de l'égalité des citoyennes et des citoyens, ainsi que de leur participation à la vie politique, économique, culturelle et sociale. Sont affirmés les principes de constitutionnalité, de hiérarchie et d'obligation de publication des normes juridiques. La loi ne peut avoir d'effet rétroactif». Dans ce sillage, l'argument mis en avant par le gouvernement en vue de faire passer l'article 9, à savoir le principe de la continuité du service public et la nécessité de la préservation des équilibres budgétaires, est également remis en cause. Sur ce point l'article 154 de la Constitution est on ne peut plus clair :. «Les services publics sont organisés sur la base de l'égal accès des citoyennes et des citoyens, de la couverture équitable du territoire national et de la continuité des prestations rendues. Ils sont soumis aux normes de qualité, de transparence, de reddition des comptes et de responsabilité, et sont régis par les principes et valeurs démocratiques consacrés par la Constitution». Cet article 9 de la Loi de finances 2020 est également critiqué au niveau de la forme puisqu'il ne cadre pas avec la loi organique des finances. Celle-ci stipule dans son article premier que «la Loi de finances détermine, pour chaque année budgétaire, la nature, le montant et l'affectation de l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat, ainsi que l'équilibre budgétaire et financier qui en résulte. Elle tient compte de la conjoncture économique et sociale qui prévaut au moment de sa préparation, ainsi que des objectifs et des résultats des programmes qu'elle détermine». En fait, les juristes ne cessent d'invoquer l'inconstitutionnalité de la disposition en question. Après le circuit législatif au niveau de l'Hémicycle, la balle sera renvoyée dans le camp de la cour constitutionnelle. En 2017, une disposition similaire était contenue dans le PLF 2017. Il s'agissait de l'article 8bis qui concernait les collectivités locales. A cette époque, l'article en question, proposé par le PJD, a fini pas être rejeté au niveau de la deuxième chambre. Pour s'en sortir, l'Exécutif avait mis en place une commission pour résoudre le problème sans recourir à la loi de finances. Mais, les propositions de ladite commission n'ont pas trouvé le chemin de la concrétisation. En attendant une formule de réforme, le gouvernement a amendé l'article 9. L'amendement stipule que «les créanciers porteurs de titres ou de jugements exécutoires à l'encontre de l'Etat ne peuvent se pourvoir en paiement que devant les services ordonnateurs de l'administration publique concernée. Lorsqu'une décision de justice définitive passée en force de chose jugée condamne l'Etat au paiement d'une somme déterminée, cette somme doit être ordonnancée dans un délai de soixante (60) jours à compter de la date de notification de ladite décision judiciaire dans la limite des crédits ouverts au budget. Les ordonnateurs sont tenus d'inscrire les crédits nécessaires pour l'exécution des jugements dans la limite des possibilités de leurs budgets. Si la dépense est imputée sur des crédits qui se révèlent insuffisants, l'exécution des jugements est faite dès lors par voie d'ordonnancement de la somme concernée, à hauteur des crédits budgétaires disponibles, à charge pour l'ordonnateur de prendre toutes les dispositions pour mettre en place les crédits nécessaires au paiement de la somme restant due sur les budgets des années suivantes. Les biens et les fonds de l'Etat ne peuvent, toutefois, faire l'objet de saisie à cette fin». Et cette dernière phrase clôt le dossier et continue de susciter des débats et des polémiques.