«Le cinéma est avant tout un révélateur inépuisable de passages nouveaux, d'arabesques nouvelles, d'harmonies nouvelles entre les tons et les valeurs, les lumières et les ombres, les formes et les mouvements, la volonté et ses gestes, l'esprit et ses incarnations». Elie Faure* Le réalisateur marocain Daoud Aoulad-Syad a su, au fil des temps, forger son style singulier. Dans «les voix de désert» il opte pour le hors champ comme élément constitutif de la narration et de mise en scène. Il s'est rendu compte, depuis «la mosquée», son film mythique, que toute la signification et le génie du cinéma résident plus dans le hors champ que dans le champ. C'est à partir de ce procédé cinématographique qu'il a pu rendre l'invisible visible, et invite le spectateur à s'immerger dans le désert pour vivre des moments de pérennité malgré leurs fugacités. Des moments éphémères mais combien mystérieux, voire mystiques. Ceux qui attendaient une histoire au sens conventionnel, seraient peut-être frus- trés. L'historie n'est qu'un prétexte. Elle passe en filigrane pour laisser place à d'autres éléments plus importants et plus significatifs. Ici nous avons affaire au cinématographe au sens Bressonien du terme. C'est dans cette perspective qu'il faut donc voir et écouter «les voix du désert». Ici, comme dans la majorité de ses films, l'héritage photographique pèse sur sa façon d'aborder la composition plastique de l'espace et d'ordonner le monde. Il est l'un des rares cinéastes marocains qui découpent moins ses scènes. Daoud privilège les plans-séquences et les cadres fixes, souvent longs, mais jamais lents. Il dépeint minutieusement ces scènes pour magnifier l'espace, libérer les corps, créer des interactions entre elles et plonger le spectateur dans son univers particulier. Ce choix de longueur n'est pas gratuit, mais il est nécessaire pour délatter le temps et rendre l'espace du jeu contemplatif, unique et fabuleux. Il nous livre un monde voguant entre réalité et fiction, et des moments de poésie illuminés. Dans la voix du désert, Daoud abandonne quasiment la musique et ouvre la voie aux voix des humains et du désert. Elles les laissent surgir et interagir entre elles. En réalité, ce film (comme la majorité de ses films) n'a pas besoin de soutien de la musique. Deux temporalités se tressent pour structurer cette œuvre visuelle et sonore: l'une, émane du désert qui nous livre sa propre musicalité et son propre rythme (sons des vents, des insectes, des palmiers, et l'autre, est marquée par les voix silencieuses des personnages. Ces temporalités nous font sentir, non seulement, le temps qui pèse, mais elles nous révèlent aussi, les intimités et les souffrances profondes des personnages. Combien le chemin de la quête est long et sinueux. Le film démarre par la quête du père, et peu à peu cette quête devient une quête de soi, de l'identité, de la mémoire, des amours impossibles et des vérités jamais retrouvées. Ce qui caractérise les personnages du film c'est leur fragilité, leur simplicité, leur bonté et leur quête d'une sérénité provisoire. Ils sont tous en permanente quête de quelque chose qui leur fuit : Mouloud est à la recherche des traces de son père qui l'a délaissé un jour sans jamais revenir, Hammadi cherche son fils Said, disparait un jour sans donner signe de vie; Zineb mène une recherche sur les vertus d'un patrimoine musical ancestral délaissé par les générations actuelles, l'aubergiste quant à elle, quitte sa ville natale et s'installe dans cette auberge espérant trouver un jour son amant rêvé, et enfin, le jeune Houcine qui part en ville à la recherche d'un avenir meilleur. Mais il faut souligner quand même que certaines défaillances ont impactées la qualité globale du film, à savoir le choix et le jeu d'acteurs. Mauvais casting ou mal direction ? Quelque soient les raisons, les acteurs avaient du mal à rentrer dans la peau des personnages et dans l'univers de Daoud. Autre faiblesse, c'est les dialogues qui manquaient de profondeurs et ne rameraient pas grand chose à la dramaturgie. Mais il faut avouer que la force de ce film réside en une grande partie dans sa mise en scène. *Ombres solides, «Introduction à la mystique du cinéma», 1934.