Ou comment rééditer son succès sur le Continent au Maroc Attendu depuis la fin de l'année dernière, Orange vient de créer une nouvelle filiale exclusivement dédiée au mobile payment. Cette filiale, dont le lancement effectif des opérations est prévu pour «bientôt», arrive sur ce marché marocain avec un avantage fort : celui de bénéficier de l'expérience du groupe dans d'autres pays où Orange Money a connu un franc succès. Un point d'avance au démarrage que Maroc Télécom et Inwi tenteront de combler rapidement. Mais le marché marocain saura-t-il être aussi réceptif à l'opérateur français? L'on se souvient de l'échec des tentatives des opérateurs télécom dans le mobile banking vers la fin des années 2000 et début 2010. Trop tôt, trop compliqué, pas sûr et avec toutes les réticences de Bank Al Maghrib : telle était la recette de cet échec, à une période où toutes les banques s'époumonaient encore à étendre leur maillage du territoire en termes d'agences. Quelques années plus tard, retournement de situation. Les banques, sentant le danger à leur porte de ne pas monter dans le train numérique, investissent davantage dans le digital et forcent la Banque centrale à desserrer l'étau. Depuis lors, le mobile banking est devenu effectif pendant que les banques rationnalisent davantage leur réseau bancaire. Et les opérateurs télécom ne sont plus en marge de ces changements cette fois-ci parrainés par Bank Al Maghrib. Les agréments d'établissement bancaire distribués par la Banque centrale à plusieurs opérateurs dont les 3 entreprises de télécom a fini de mettre en orbite Orange Money. La filiale du groupe de télécom français attendait depuis longtemps de pouvoir dupliquer ses réussites dans le Continent au Maroc. La nouvelle filiale, détenue à 100% et dont le capital est de 10 millions de dirhams, serait en pleine phase de recrutement. Ses activités tourneront autour de la fourniture de services de paiement, l'émission et la gestion de moyens de paiement pour le compte de tiers. Sur le terrain, Orange Money Maroc est attendue de pied ferme par les autres opérateurs télécom, les banques et les opérateurs indépendants qui entendent tous se tailler une part importante dans ce gâteau. En attendant le début effectif de ses activités, Orange Money peut se targuer d'avoir une forte expérience acquise sur le Continent en matière de mobile money. Le groupe français présent dans 17 pays africains, principalement francophones, y a vu "Orange Money"devenir le nom générique du mobile payment, à l'instar de M-PESA au Kenya et en Tanzanie. La Côte d'Ivoire: le laboratoire d'essai Orange qui a fêté l'année dernière les 10 ans de sa solution de mobile money compte sur le Continent plus de 40 millions de clients. Le groupe comptabilisait, à fin 2017, quelque 26 milliards d'euros de transactions et Orange Money est devenu, en l'espace de ces dix années, l'un des principaux relais de croissance du groupe français. Dans ces pays où le service paiement Orange a pris racine sans réellement devoir se battre, la bancarisation a toujours été faible. En Côte d'Ivoire où Orange Money a été lancé pour la première fois, le taux de bancarisation s'élevait à 7,1% en 2007. En 2018, Mory Savané, le Sous-directeur des services financiers extérieurs du Trésor public ivoirien déclarait que «le taux de bancarisation au sens strict en Côte d'Ivoire est passé de 7,1% en 2007 à 19,7% en 2016». L'objectif du gouvernement ivoirien étant de lui faire passer le cap des 20% en 2020. Dans le même temps, le taux global d'utilisation des services financiers avait enregistré une évolution remarquable, passant de 13,6% en 2007 à plus de 48% en 2016, avait annoncé le responsable ivoirien. Un taux demeuré faible malgré les efforts d'implantation des établissements de crédit et systèmes financiers sur le territoire. Au Cameroun où le taux de bancarisation a végété pendant de longues années autour de 5%, il a été estimé en 2011 à 13,8%. Selon le rapport annuel de la zone franc 2017 établi par la Banque de France, le taux de bancarisation dans la zone UEMOA (8 pays de l'Afrique de l'Ouest) est passé de 7,6% en 2007 à 16,8% en 2016. De fait, le mobile payment est venu combler un vide que les banques, "trop" près de leurs sous, avaient du mal ou rechignaient plutôt à occuper. Orange Money, capitalisant sur ce déficit, a basé son service sur l'accessibilité et l'universalité. Des critères qui lui ont permis d'acquérir des millions de clients qui aujourd'hui effectuent de manière spontanée des transactions financières à travers leur téléphone portable. Résultat : le chiffre d'affaires d'Orange Money en Afrique a progressé de 60% entre 2016 et 2017. En Côte d'Ivoire, au Mali, au Burkina Faso, au Sénégal et au Cameroun, le service a généré une large adhésion des populations. «Dans certains pays, le service permet à près de 50% des utilisateurs d'accéder à des services bancaires dans un environnement caractérisé par une faible bancarisation», annonce l'opérateur français. Ces conditions qui ont largement participé au succès d'Orange Money dans les pays de l'Afrique subsaharienne constitueront-elles son frein au Maroc? Car, à l'inverse de ces pays, le taux de bancarisation au Maroc est bien plus élevé. Bank Al Maghrib l'établit à 56% en 2017. Et les canaux offerts aux Marocains pour leur inclusion financière sont multiples. En même temps qu'elles affinent leur réseau bancaire (avec la décélération du nombre d'agences), les grandes banques ont mis en place des filiales destinées au lowbanking. C'est notamment le cas avec le numéro 1 national des banques, Attijariwafabank, dont la filiale Wafacash connaît un certain succès sur le marché. Le tout, sans oublier l'utilisation croissante des cartes bancaires dans les achats dont le nombre d'opérations a explosé ces deux dernières années, et le mobile banking qui assure déjà une part des transactions (du moins classiques). En conjuguant tous ces canaux, la manne du m-payment se restreint et son potentiel de croissance devient moins important que dans les pays où Orange Money est présent sur le Continent. Relais de croissance marginal Il faut aussi noter que dans la plupart de ces pays, sinon tous, les services financiers par téléphone portable ont été initiés par Orange Money. Ce qui lui a permis d'accaparer une bonne part de marché et de dicter les règles du jeu. D'ailleurs, en juin dernier, le Réseau national des prestataires de transfert d'argent (Renapta) s'insurgeait à Dakar contre la décision unilatérale d'Orange Money d'implémenter une nouvelle tarification. Celle-ci imposait une baisse des commissions des prestataires de 70% sur tous les transferts, passant de 18% à 7%. Une sortie qui n'a pas été du goût des prestataires qui ont tenu à manifester leur mécontentement. Au Maroc où la configuration économique est bien différente, difficile d'imaginer qu'Orange Money réalise les mêmes ordres de grandeur en termes de chiffre d'affaires et de croissance dans sa prochaine activité. Concurrence forte, diversité des canaux, bancarisation plus importante obligent, le relais de croissance que constitue Orange Money pour le groupe télécom français risque bien d'être un relais de croissance marginal sur le marché marocain. Le tout, en dépit de la confiance exprimée par Bank Al Maghrib qui voit le Mobile Money supplanter le secteur financier informel d'ici 2020. Il devrait générer, selon l'institution d'émission marocaine, un flux de transactions pouvant atteindre une valeur totale de l'ordre de 400 milliards de dirhams par an. Une prévision qui repose, en partie, sur un nombre d'abonnés mobiles toujours en croissance. Ils sont plus de 44 millions de Marocains enregistrés à fin juin 2018 par l'ANRT. Pour Orange Money Maroc, réaliser la connexion entre le Maroc et le reste du Continent en offrant un service de transfert international pourrait être un axe de développement, notamment pour la diaspora présente au Maroc. Quoique, l'opérateur s'est déjà fait taper sur les doigts par la Banque Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) lorsqu'il a voulu ouvrir le transfert d'argent vers la France. L'institution avait argué : «Il ne s'agit pas de pénaliser Orange. Mais seules les banques sont autorisées à faire ce genre d'opération hors de notre zone monétaire. Orange a probablement mal interprété nos textes». Et ni Bank Al Maghrib, ni l'Office des Changes ne sont connus pour être plus coopératifs sur ce créneau. Loin de là. Puis, au Mali et à Madagascar, Orange est allé plus loin avec le crédit et l'épargne accessibles depuis un téléphone mobile. Choses que les banques marocaines seraient bien loin de voir d'un bon œil… Les espoirs de Bank Al Maghrib La Banque centrale, longtemps réfractaire à ce que d'autres entreprises mettent un œil dans le circuit et la gestion de l'argent, s'est depuis quelques années transmuée en parrain des nouveaux moyens de paiement. Avec l'ANRT, la banque des banques fonde un espoir important sur le mobile money, conçu selon elle pour court-circuiter les circuits informels de paiement. Dans ses hypothèses d'impact, BAM prévoit 6 millions d'utilisateurs pour ce nouveau mode de paiement au bout de la cinquième année, et 400.000 utilisateurs dès la première année. La Banque centrale table sur un nombre de transactions de 1,3 milliard en 2024. Parallèlement, 51.000 commerçants feront partie du réseau d'acceptation à terme (2024), dont 3.400 agents lors de la première année (2019). Dans son rapport de supervision bancaire de 2017, Bank Al Maghrib estimait à 15 millions le nombre de Marocains continuant de vivre en marge du système financier formel, en majorité les jeunes et les femmes. La Banque centrale attend un flux de transactions pouvant atteindre une valeur totale de l'ordre de 400 milliards de dirhams par an pour une meilleure inclusion financière des Marocains. Le gouvernement marocain veut ainsi rattraper le retard sur ce créneau vis-à-vis de certains pays tels que le Ghana, la Côte d'Ivoire, la Tanzanie, le Rwanda ou encore le Kenya.