La question salariale au Maroc demeure d'actualité. C'est autour d'elle que se créent des conflits et se nouent des alliances et arrangements. Elle renvoie à une question beaucoup plus large qui est rarement élucidée et toujours laissée dans l'ombre à savoir la répartition des richesses et la distribution/redistribution des revenus. On décèle globalement, et pour faire court, deux thèses en présence : les tenants d'une rigueur salariale et les partisans d'une politique salariale qui assure une répartition équitable des richesses. Chacune de ces thèses s'appuie sur un certain nombre de constats et de supposés théoriques. La première thèse analyse le salaire comme une simple rémunération du facteur « travail ». Il est considéré par conséquent comme une composante des coûts de production qu'il convient de compresser au maximum. On préconise même que le salaire doit être déterminé par le jeu de l'offre et de la demande sans intervention de l'autorité publique. Et certains entrepreneurs mettent en application cette maxime libérale en négociant des salaires en marge de toute législation sociale et en dessous du salaire minimum légal. Par ailleurs, d'aucuns considèrent que dans une conjoncture de chômage massif, il vaudrait mieux recruter les personnes sans emploi que d'augmenter les salaires de ceux qui en disposent. C'est un argument séduisant en apparence mais il manque de sérieux sur le fond et ce pour deux raisons essentielles : d'abord, les deux phénomènes, création d'emplois et augmentation des salaires, ne sont pas contradictoires. Le chômage est une chose, la protection du pouvoir d'achat des travailleurs en est une autre ; ensuite, la solidarité envers les chômeurs est une question nationale et son coût doit être supporté par l'ensemble de la collectivité et non par les seuls travailleurs. La deuxième thèse en présence considère le salaire comme une composante fondamentale de la demande intérieure et non un simple coût de production. Outre le fait qu'il doit couvrir, au nom de la justice sociale, la pleine reproduction de la force de travail. Ce qui signifie que le salaire doit couvrir les frais d'entretien du travailleur et de sa famille en leur assurant une vie décente en matière de nourriture, de logement, d'éducation, de soins médicaux…En tant que tel, le salaire doit faire l'objet d'une réévaluation régulière conformément au principe de l'échelle mobile. La revalorisation des salaires, et des bas revenus en général, se justifie dans le contexte marocain pour deux raisons essentielles : - La première raison tient à la nécessité de réduire et d'atténuer les inégalités flagrantes en matière de distribution des revenus « primaires » entre les revenus du capital (profit et autres dividendes) et les revenus du travail d'une part et en matière de redistribution des revenus (système fiscal inéquitable, régime de retraite distordu, dépenses sociales mal ciblées…). Il faut reconnaître que le Maroc produit trop d'inégalités. Même, si elles sont mal appréhendées par la statistique, elles sont visibles à l'œil nu ! La société ne peut pas vivre dans la cohésion nécessaire en continuant dans cette voie. -La deuxième raison tient à la nécessité d'alimenter la demande locale pour doper l'économie nationale et la mettre sur un sentier de croissance durable. On ne cesse de ressasser que la croissance au Maroc est tirée par la demande nationale sans pour autant prendre les mesures qui conviennent dans ce sens. Il s'agit d'améliorer le pouvoir d'achat des catégories sociales défavorisées et des classes moyennes pour créer un véritable marché national et faire des trente millions de Marocains de véritables consommateurs. Cet objectif est rendu d'autant plus impératif que le pari sur la demande extérieure et l'export s'est avéré difficile à relever eu égard aux multiples contraintes : concurrence acharnée sur le marché international, protectionnisme déguisé adopté par certaines puissances sous couvert de « normes »… Pour lever toute équivoque, il ne s'agit pas de prôner la « déconnexion » du marché mondial. Au contraire, plus nous renforçons nos bases locales, mieux nous serons outillés à intégrer le marché international et à tirer profit des opportunités offertes par la mondialisation et inverser la tendance actuelle dans laquelle nous sommes plus perdants que gagnants. Bien sûr, reste la lancinante question qui est au centre de toute la problématique, à savoir celle de la productivité. Car on ne peut gagner la bataille de développement sans faire de progrès notable en la matière Ce qui suppose des investissements massifs et rentables dans la formation, la recherche, l'innovation technologique…D'où la nécessité d'une planification stratégique pour savoir où va le Maroc. «Il n'est pas de bon vent pour qui ne connaît pas son port». *Professeur de l'enseignement supérieur en sciences économiques