«Il est regrettable de constater aujourd'hui l'absence des espaces d'expression et de débat libre, public et responsable, autour des différentes questions qui traversent la société marocaine», a souligné Mohamed Nabil Benabdallah, SG du Parti du progrès et du socialisme (PPS), vendredi 26 octobre, au siège de la «Maison de l'avocat», à Casablanca. Intervenant lors de la table ronde organisée par le secteur des avocats du PPS sur le thème de «La liberté d'expression entre le texte juridique et la dynamique de la société», Benabdallah a tenu à rappeler dans son allocution qu'il est tout-à-fait normal que le PPS initie ce genre de rencontre pour contribuer à l'enrichissement du débat public. D'ailleurs, ajoute le SG du PPS, l'exercice de la réflexion constitue une tradition chez le PPS, qui n'a jamais failli à sa mission; celle de poser les vraies questions qui s'imposent autour des problématiques persistantes qui préoccupent la société, et cela en parfaite synergie avec son identité fondamentale et ses convictions idéologiques, abstraction faite de sa position sur l'échiquier politique. Certes, pour lui, il existe de multiples formes d'expression et de débat sur les réseaux sociaux par exemple. Il regrette toutefois que cette dynamique soit quasiment inexistante au sein des instances constitutionnelles censées, en principe, canaliser le débat public. L'orateur a tenu à rappeler à cet égard «les thèses politiques» adopté lors du 10 e Congrès national du Parti et qui contiennent des positions très avancées par rapport à l'ensemble des questions posées. Et d'ajouter que «les récents événements qu'a connus le pays et l'échec des partis politiques en matière d'encadrement n'arrivant point à remplir convenablement leur rôle au sein de l'espace institutionnel ont ébranlé les véritables forces démocratique et progressiste…». Mais, en dépit d'une réalité qui parait têtue, cela n'empêche de faire preuve d'optimisme et rester attaché à la lueur d'espoir», a lancé le SG du PPS. Néanmoins, la question devant être posée avec insistance est celle de réunir les moyens visant à même d'unifier les visions et construire un discours cohérent de «lobbying», a-t-il fait savoir. Pour le leader du Parti du Livre, il y a aujourd'hui une volonté pour mettre en place un nouveau modèle de développement, mais ce modèle ne pourrait aboutir en ayant comme unique référentiel une économie libérale «pur jus». Autrement dit, la réussite d'un nouveau modèle de développement serait tributaire de plusieurs conditions primordiales à commencer par l'intégration de la dimension humaine et la garantie de la liberté et de la dignité des citoyens. Autre point non moins important évoqué par le conférencier est celui de la croissance régulière et soutenue tout en œuvrant à mettre en place les mécanismes protégeant l'Etat de droit. En termes plus clairs, «l'économie de rente et l'argent n'ont de place dans le champ politique, car, au final, le but escompté réside dans la démocratisation du champ économique», a-t-il confié. La variable culturelle et civilisationnelle devrait avoir également une place de choix dans ce projet de développement. Comme quoi l'accès à la culture et l'attachement aux valeurs humaines et universelles doivent être considérés comme des points nodaux dans ce modèle de développement, sans omettre l'application des principes de la bonne gouvernance afin d'avoir une administration productive. Il faut dire aussi que tout projet de développement sera condamné d'avance à l'échec s'il ne tient pas compte des valeurs de la liberté et de la démocratie, a prévenu le SG du PPS. Pour ce faire, il ne faut pas y aller par quatre chemins, a-t-il laissé entendre. Et la solution, selon le SG du PPS, consiste d'abord dans la mise en œuvre des dispositions de la Constitution 2011, la consolidation du processus démocratique, et des politiques publiques fortes et crédibles, autonomes, et des partis capables de choisir avec qui ils veulent s'allier. Car une véritable démocratie nécessite encore un pouvoir législatif conscient de ses attributions, une société civile à la hauteur des aspirations des citoyens et des médias publics forts, a lancé le conférencier, tout en s'interrogeant sur les visées de certains organes médiatiques qui véhiculent une image très négative sur les politiques ce qui ne fait que creuser le fossé entre les citoyens et le politique. Abderrahim El Jamai : «Faire prévaloir le principe de la constitutionnalité des lois» Pour sa part, le bâtonnier, Me Abderrahim El Jamai s'est attelé dans son intervention sur la liberté d'expression entre la pratique et la norme juridique. Pour lui, l'appareil judiciaire doit s'ériger en tant que garant de la liberté d'expression ou ce qu'il a désigné par la créativité judiciaire. L'ancien bâtonnier a considéré que le nouveau Code de la presse constitue une régression si ce n'est pas un affaiblissement du processus démocratique, faisant allusion au transfert de certains articles du Code de la presse au Code pénal. Cela étant, le législateur est appelé à procéder à un amendement de plusieurs articles qui constituent une restriction à la liberté de la presse. Maître El Jamai a également invité les acteurs politiques et les défenseurs des droits humains à l'application du principe de la constitutionnalité des lois afin de faire évoluer les textes juridiques et mettre fin à la confusion quant à leur interprétation. Et ce n'est pas tout. La protection de liberté d'expression doit être inscrite dans une démarche plus avancée et plus large ayant comme référence les conventions internationales qui devaient avoir une certaine suprématie, citant dans ce sens le cas de la Cour européenne où ses verdicts et ses jurisprudences se situent au sommet de la hiérarchie des normes de lois pour plusieurs pays européens, a-t-il noté. Sara Soujar : «L'Etat adopte une approche coercitive e sous prétexte de l'établissement» De son côté Sara Soujar, chercheur et militante des droits de l'Homme a estimé que l'Etat marocain s'est doté d'une approche privilégiant la raison sécuritaire dans le traitement des revendications à caractère social, comme c'est le cas dans les manifestations du Rif. Une approche coercitive qui ne respecte point la liberté d'expression instrumentalisée sous prétexte de l'établissement de l'ordre et la garantie de la stabilité, a-t-elle ajouté. L'intervenante a jugé que cette situation s'applique parfaitement à l'échelle mondiale où plusieurs pays occidentaux ont procédé au chamboulement de leur agenda en reléguant au second plan la question de la défense de la liberté d'expression et en arguant que leur action a pour but la lutte contre le terrorisme international. Sara Soujar a considéré que les manifestations de la ville d'El Hoceima où plusieurs individus ont été emprisonnés, ont un caractère purement social et économique. Encore plus, et ces manifestations traduisent l'absence d'interlocuteurs et de mécanismes de dialogue et de communication entre les décideurs et les jeunes qui sont exclus des politiques publiques élaborées par les gouvernants, a-t-elle conclu. Soulaimane Raïssouni : «Le métier du journalisme a été vidé de son sens» Par Ailleurs, Soulaimane Raïssouni, journaliste et chroniquer au quotidien Akhbar El Youm, a axé son intervention sur les contraintes pesant sur la liberté de la presse, considérant, pour sa part, que plusieurs peines privatives de liberté ont été transférées au Code pénal. Selon lui, le métier du journalisme a été vidé de son sens et le journaliste est devenu un rapporteur des informations déjà établies pas plus, alors qu'en principe le journaliste est un porteur de projet, a-t-il dit. Fatima Ifriqui : «Mettre en place un média public fort incarnant la voix du peuple…» Même son de cloche chez la journaliste Fatima Ifriqui, qui a fait part de son inquiétude face aux régressions graves des droits de l'homme. L'intervenante a considéré que les sentences sévères à l'égard des jeunes du Rif, la poursuite des journalistes et la manière avec laquelle se déroule leur procès et qui font l'objet d'abus graves et de destruction symbolique constitue une sorte d'humiliation et de vengeance. Sur un autre registre, la conférencière a évoqué dans son intervention la fragilité du champ médiatique numérique électronique qui pêche par manque de professionnalisme et de déontologie. On ne peut pas parler de liberté de médias sans une véritable réforme démocratique», a-t-elle noté tout en mettant l'accent sur la nécessité de se doter «d'un média public fort incarnant la voix du peuple et non celle du pouvoir», a ajouté la journaliste. Karim Nait Lhou « Pour une approche globale basée» Me Karim Nait Lhou, avocat et membre du BP du PPS, a estimé que la liberté d'expression est liée au processus de la démocratisation du pays. Le militant du PPS a appelé à la mise en place d'une approche globale basée sur la culture des droits de l'Homme, déplorant dans ce sens les régressions enregistrées à plusieurs niveaux, notamment en matière des droits de l'Homme. D'une manière ou d'une autre, la situation actuelle requiert un nouveau souffle démocratique et une action militante forte, a appelé le dirigeant du PPS, jugeant qu'il est aberrant que le Maroc dispose de plusieurs instances des droits de l'Homme alors qu'aucune d'entre elles ne remplit convenablement sa mission. Notons au final que la modération de cette rencontre a été assurée par Loubna Sghir, avocate et coordinatrice du secteur des avocats du PPS.